FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Poème d’ici
À l’année nouvelle


Par Nazik Al-Mala’ika
2014 - 02

Née à Bagdad en 1922, Nazik Al-Mala’ika est une poète irakienne majeure qui a marqué la littérature arabe en étant la première, avec son compatriote Al-Sayyab, à délivrer la poésie des contraintes classiques et à y introduire la versification libre. Nazik Al-Mala’ika quitte l’Irak en 1970 avec son mari et s’installe au Koweït, avant de partir en 1990 pour Le Caire où elle vivra jusqu’à sa mort en 2007. Diplômée du Collège des Arts à Bagdad et de l’Université du Wisconsin, elle enseigne dans de nombreuses universités. Elle publie des études sur le vers libre, des essais et de nombreux recueils. Si le rayonnement de pionnière de Nazik Al-Mala’ika ne fait pas de doute, sa poésie reste méconnue et peu traduite.

 

À l’année nouvelle

Année, n’approche pas nos demeures car nous sommes ici des spectres

Venus du monde des fantômes, 

Les humains nous renient 

La nuit nous fuit ainsi que le passé, le destin nous ignore 

Et nous vivons tels des esprits errants

Nous qui marchons sans mémoire 

Sans rêves, sans désirs qui éclairent, sans souhaits

L’horizon de nos yeux est cendres,

Ces lacs stagnant dans les visages silencieux 

À nous sont ces fronts muets

Sans palpitation aucune, sans ardeur

Dénués que nous sommes de toute émotion, nous dont les lèvres sont fades

Qui fuyons le temps vers le néant

Nous ignorons le désespoir du regret

Nous qui vivons dans le luxe des palais

La sensibilité nous manque encore.

Sans souvenirs, 

Nous vivons sans que la vie n’en sache rien

Nous existons sans plainte, et nous ignorons ce que sont les pleurs

Ce qu’est la mort, la nativité, et ce que signifie le ciel 

* * *

Année, en avant marche ! Le voici le chemin

Qui fait ployer tes pas 

En vain espérons-nous ton réveil

Nous qui avons des veines de roseau 

Qu’elles soient blanches ou vertes, nous sommes insensibles.

La tristesse, nous l’ignorons et ignorons ce qu’est la colère

Qu’en diraient-ils, si les consciences se révoltent

Et si nous mourrons, que les tombes nous rejettent

Et si le temps trouve un jour, comme pour les autres, 

Son chemin jusqu’à nous 

Que nous écrivions l’histoire par les années 

Que nous soyons contraints par l’attachement au lieu 

Que les portes vertigineuses des palais

Apportent à nos cœurs un équivalent d’air,

Si nous avancions avec la vie

Si nous marchions, ressentions, voyions, dormions, 

Et que la neige d’hiver nous glaçait

Et que l’obscurité enveloppait nos fronts 

Ah si seulement nous étions sensibles comme les autres, 

Et que les maladies nous frappaient, et que la douleur nous rongeait 

Si un souvenir, un espoir, ou un regret 

un jour barraient à notre pays la route 

Si seulement nous craignions la folie 

Et que le silence nous plongeait dans le spleen

Si seulement un départ troublait notre repos 

ou un choc 

ou le chagrin d’un impossible amour. 

Ah si nous mourions comme les autres meurent.

 

Traduits de l’arabe par Ritta Baddoura 

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166