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Poème d’ici
Histoire d’un homme bizarre


Par Samih el-Qassim
2014 - 09
Histoire d’un homme bizarre

Il s’est dressé au bout de la route,
Debout comme un épouvantail planté dans le vignoble
Au bout de la route
Comme l’homme du panneau indicateur
Au bout de la route
Un vieux manteau sur l’épaule
« L’homme bizarre » est son nom
Les maisons blanches lui ferment leurs portes
Seuls les buissons de jasmin
Aimaient son visage luisant d’amour et de haine
(…) « L’homme bizarre » est son nom
Et le pays souffrait de la tristesse et des sauterelles
Ce qui devait arriver arriva
Il s’avança soudain un jour
Et son cri résonna dans la cour des maisons blanches
Les vieux, les enfants, les hommes et les femmes
S’y pressaient en foule
Ils le virent mettre le feu au vieux manteau
(Le vieux manteau sur l’épaule)
Et ce qui devait arriver arriva
Le ciel fut étouffé par un nuage vert
Un nuage blanc
Un nuage noir
Un nuage rouge
Un nuage mystérieux sans couleur
Ce qui devait arriver arriva
L’éclair et le tonnerre surgirent
Et il plut à verse
« L’homme bizarre » est son nom
Seuls les buissons de jasmin
Aimaient son visage luisant d’amour et de haine
Et les maisons blanches se mirent à l’aimer.

* * *

Le voyageur

Ma chanson m’écoute
Le temps est au beau fixe
Je suis fermement sur mes pieds, le vent est doux
Le langage est mon mât et la mer est paisible.
Mais,
Je n’ai point de navire !
Mes arbres chargés de fruits
Mes navires sont prêts
Voici les marins de mon âme
Ils implorent le moment de mettre les voiles
Les nouvelles météorologiques sont bonnes
Mais,
Je n’ai point de mer !
La mer, les navires, les marins
Tous m’attendent.
Mais,
Comment voyager… sans temps ?
Pour aller où… sans lieu ?

Traduits de l’arabe par A. K. el-Janabi et Mona Huerta

* * *

Notre chemise râpée 

(…) Oui, son absence sera longue, et la morsure du froid,
là-bas, est de celles que nul ne supporte...
Ô toi la mère, ne sais-tu pas qu’il est pour lui temps de partir ?
(…) Nombreux seront là les voisins, les amis,
tous ceux qu’il aime… Laisse-le,
ô toi, la mère, et sache que bientôt, juste à l’heure
de sa dernière foulée sur cette terre aveugle,
le flux de son haleine sera tout entier aspiré
par les deux poumons de son frère. 
Oui, de l'un à l'autre le souffle passera
avec cette force que tu sais, que tu espères
oui, cette haleine viendra s’insinuer
au creux des poumons de son frère...
(…) L’émigré a chargé sur son dos ce qu’il a pu prendre
et il est parti. 
Gloire à Celui qui nous accorde d’avoir des enfants
et qui les rappelle à Lui !
Tu as pleuré au long des nuits,
pleuré en silence,
les yeux grands ouverts sur la fosse
des ténèbres.
Tu ne comprenais pas... et ton petit non plus
ne savait pas
que sa chemise râpée, tant qu’elle battrait au vent
de la peine et de la détresse,
avec elle battrait aussi le drapeau du retour (…).

Traduit de l’arabe par René Khawam
 
 
© Fathi Belaid / AFP
 
2020-04 / NUMÉRO 166