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Poème d’ici
Raison du cri


Par Tahar Djaout
2016 - 06

Tahar Djaout est un écrivain, poète et journaliste algérien d’expression française, auteur de plus d’une trentaine de recueils de poésie, de romans (tous publiés au Seuil) et d’essais. Né en 1954 à Oulkhou en Kabylie, Djaout écrit ses premières critiques dès 1976 pour le quotidien el-Moudjahid et son supplément culturel, puis devient responsable en 1980 de la rubrique culturelle de l’hebdomadaire Algérie-Actualité. C’est dans ces années-là qu'il commence à écrire des chroniques politiques pleines d'acuité. En 1993, il fonde avec Arezki Metref et Abdelkrim Djaad l’hebdomadaire Ruptures dont il sera le directeur. Décrit par ses pairs comme un poète et romancier sensible, exigeant, érudit et discret, Djaout reçoit en 1984 le prix de la fondation Del Duca pour Les Chercheurs d’os (Seuil, 1984, réédition en 2001) et en 1991 le Prix Méditerranée pour Les Vigiles (Seuil, 1991, réédition en 1995). Le 26 mai 1993, Tahar Djaout est victime d’un des premiers attentats ciblant les intellectuels algériens. Il succombe à ses blessures le 2 juin 1993, au début d'une décennie de guerre civile. 

 

Raison du cri

 

s’il n’y avait ce cri,

en forme de pierre aiguë

et son entêtement à bourgeonner

 

s’il n’y avait cette colère,

ses élancements génésiques

et son soc constellant,

 

s’il n’y avait l’outrage,

ses limaces perforantes

et ses insondables dépotoirs,

 

l’évocation ne serait plus

qu’une canonnade de nostalgies,

qu’une bouffonnerie gluante,

 

le pays ne serait plus

qu’un souvenir-compost,

qu’un guet-apens

pour le larmier.

 

* * *

L’arbre blanc

 

ma richesse, 

c’est la neige, 

et sa lumière aurorale.

 

j’accumule les fruits

d’arbres scellés de blanc

et j’envoie mes oiseaux

ausculter les cimaises.

 

oiseau,

mon messager

au creux secret des arbres.

oiseau

étoile mobile

qui incendie les neiges.

 

j’attends

le ciel descend

sur les dents de la ville

 

j’attends ‒

et l’ombre emballe

les maisons engourdies.

 

quand saignera sur nous

le feu coulant

du jour ?

je tisonne,

dans l’attente,

les cendres

d’un été mort.

 

Extraits du recueil Pérennes (poèmes 1975-1993), Le Temps des Cerises, Paris, 1996. 

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166