Par Nadine Ltaif
2018 - 07
D’origine libanaise, Nadine Ltaif vit à Montréal depuis 1979. Poète et traductrice, elle a publié plusieurs recueils de poésie aux éditions du Noroît (Canada) parmi lesquels Les Métamorphoses d’Ishtar (1987), Entre les fleuves (1991), Le Livre des dunes (1999), Le Rire de l’eau (2005) ou encore Hamra (2014). Nadine Ltaïf a collaboré à de nombreuses revues littéraires canadiennes et européennes et codirigé la revue Tessera. Elle travaille à la production de films avec la compagnie Nadja Productions.
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Je partais pour le Caire
vers la misère du Nil
et la poussière regarde
et les estomacs rétrécissent
vers les plaies ma Dame
ou bien encore la faim.
Comment savoir comment comprendre
que la faimÂ
je l’ai portée en moi
et le peuple d’Égypte c’était moi
j’avais faim
je refusais de manger
je refusais de voir les rues du Caire
et ces foules grouillantes et amaigries.
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Je fuyais vers toiÂ
ô Montréal
l’hiver
l’hiver ne m’épargnait pas non plus
alors j’ai vu
comment circule le sang dans une terre glacéeÂ
car le feu ne s’éteint pasÂ
mais l’acier moule son corpsÂ
– l’acier ne fond pas
l’hiver – âge de fer – ressemble à la dureté
de la villeÂ
et j’observe la lune
et la lune parfois
est méchante avec vous.Â
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Alors j’ai lu, à la manière de Shéhérazade,
« tous les livres », et les poètes, les historiens,
et les peuples anciens, les légendes, les contes,
les mythes, pour retrouver des bouts de ma mémoireÂ
passée, car elle était mutilée, ou détruite
par les bombes ou bien encore
en ruines,
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et alors – c’est alors que s’ouvrent les portes
de mon labyrinthe, de mes temples, et mes plaies,
et mes blessures, celles du cÅ“ur, là où monte le Nil,Â
où se fissurent les murs qui me protègent,
mes carcasses et mes armures de fer, de cet âge deÂ
fer qui s’écaille par endroits et je fleuris.
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Poème extrait de Métamorphoses d’Ishtar de Nadine Ltaif, éditions du Noroît, 1987.Â