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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Les vertus du vice
L’habit ne fait pas le moine ; l’aile ne fait pas l’ange et l’auréole ne fait pas la sainte. Émilie de Turckheim livre une réflexion sur les liens affectifs, la captivité et la douleur dans un conte actuel subversif et délirant.

Par Ritta Baddoura
2013 - 08
Même si l’histoire commence avec une héroïne intervenant en prison et offrant une écoute attentive aux détenus dans l’espace protégé – serre, laboratoire ou confessionnal – du parloir ; même si cette même héroïne rend régulièrement visite à sa vieille mère exilée en maison de repos, à son ancienne camarade de classe et meilleure amie Marie qui travaille dans les pompes funèbres et les films X, et à son vieux voisin isolé qui lui confie son chat chéri Botho ; cette héroïne en vérité n’est pas une sainte.

Voleuse, menteuse, courageuse, désœuvrée, sado-masochiste, opportuniste, soumise, amoureuse, effacée, altruiste, égoïste, confuse, psychopathe ; l’héroïne (c’est ainsi que l’auteure la désigne tout au long du roman) est un peu tout cela à la fois. Et lorsque Dimitri, auquel elle a rendu visite pendant de longs mois, sort enfin de prison et s’affranchit des barreaux et des murs et de son héroïque visiteuse, cette dernière décide de replacer l’oiseau dans la cage en l’accusant d’un crime qu’il n’a pas commis. Dimitri retourne en prison, et comme l’hirondelle refait son nid, l’héroïne reprend sa vocation de visiteur et le fantastique contamine la réalité.

Rédigé dans un style serré, saccadé, tenant plus souvent du poétique que de la prose, et puisant dans un imaginaire ludique et subversif, Une sainte porte notamment les stigmates de la société contemporaine et des enseignements de la Bible, de Shakespeare, des contes de fées et de la mythologie grecque. De Turckheim, sous le signe des « murs entre les murs », y aborde les relations filiales, l’amour en ses divers modes, l’enfance, l’éducation, le désir, la solitude, la vieillesse, le crime, la marginalité, la souffrance, la mort. Que faut-il pour se réaliser pleinement et que faut-il pour réussir à faire tenir une relation, une industrie, une société, une patrie ?

Dans Une sainte, chacun des personnages est pour l’autre « une langue étrangère ». Seule l’héroïne écoute et s’imprègne tant de l’autre qu’elle pourrait comme une sainte mystique se fondre en lui ; ou comme un vampire se nourrir de sa vie et prendre pour un instant sa place. C’est peut-être pour cette raison qu’elle reste sans nom propre. C’est peut-être aussi en donnant régulièrement à chacun de ses proches sa dose vitale de leurre quotidien, qu’un duvet de sainteté lui pousse. Dans la dialectique de la vertu et du vice, du chasseur et de la proie, de l’adulte et de l’enfant, de l’involontaire et du prémédité, du délire et de la réalité, de la douleur et de la jouissance, qui est qui et lequel des deux est le plus dangereux, lequel le plus sincère ?


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Une Sainte de Émilie de Turckheim, éditions Héloïse d’Ormesson, août 2013, 208 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166