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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Mythologie du retour


Par Fifi Abou Dib
2014 - 03
Issue de l'émigration russe, née d'une famille exilée de Saint-Pétersbourg en 1917 et d'une lignée de prêtres et de théologiens orthodoxes, Olga Lossky est l'auteur de plusieurs ouvrages dont, chez Gallimard, Requiem pour un clou (2004) et La révolution des Cierges (2010), et aux éditions du Cerf, Vers le jour sans déloin: Une vie d'Elisabeth Behr-Sigel (2007). Née en 1981 et vivant entre la Dordogne et Paris, Lossky est mariée à un Libanais, d’où le sujet de son nouveau roman, La maison Zeidawi. Une histoire qui a pour théâtre Beyrouth et sa société.

Le prétexte de ce roman est une quête des origines. Fouad, la cinquantaine, né français et ayant toujours vécu en France, ne s'était jamais interrogé sur les circonstances de sa naissance avant la mort de sa mère, une femme forte et déterminée qui achève sa vie dans une maison de santé. Un jour, il est contacté par de vagues cousins libanais qui ont besoin de sa signature pour conclure la vente d'une maison familiale à Gemmayzé. Fouad se rend à Beyrouth presque à contre cœur. La ville l'agresse avant de le fasciner. Il résiste en faisant preuve de beaucoup de mauvaise grâce aux traditionnelles amabilités que sa famille libanaise déploie pour l'accueillir. Tout ce qu'il souhaite, c'est en finir avec les formalités et rentrer chez lui retrouver sa femme avec laquelle il forme un couple aimant, contre vents et marées, malgré l'adolescence difficile de leur fils, Cédric, et l'indifférence apparente de leur fille Émilie. Les deux enfants étaient très attachés à leur grand-mère qui leur faisait des confidences auxquelles Fouad n'avait pas accès. De fil en aiguille, les membres de la famille libanaise révèlent à Fouad certains indices sur le mystère de ses origines et il réalise assez vite que son père français n'est pas son père biologique. Bouleversé, il n'a plus de cesse que de découvrir la vérité. Une enquête commence qui le conduit, accompagné d’une parente dont le charme ne lui est pas indifférent, vers un évêque orthodoxe aux yeux bleus, débonnaire fumeur de cigares né d'une grande famille bourgeoise et qui fut, en sa jeunesse, un redoutable pamphlétaire du quotidien de langue arabe le plus puissant de la région. Fausse piste, mais rencontre déterminante car l'homme de Dieu l'invite à se débarrasser de son rationalisme occidental et tourner le dos à la fatalité de la naissance biologique. Il lui intime de se libérer, d’affronter le passé au lieu de le fuir, pour mieux appréhender l'avenir. Ce qu'il s'appliquera à faire dès son retour en France en commençant par se rapprocher de son fils.

Cette histoire individuelle s'inscrit naturellement dans la «?grande?» histoire du pays. Brillante conteuse et histoirienne, Olga Lossky, à travers la généalogie d'une famille, entraine ses lecteurs dans un passé tracé par des femmes de caractère et des abadayes. On y voit se nouer les mailles fondamentales du tissu social beyrouthin, entre les premières magnaneries du Metn qui engendrent les premières fortunes. Celles-ci, aussitôt le marché de la soie tombé en déshérence, ont été reconverties dans de nouvelles activités lucratives liées à l'expansion du port de Beyrouth. Lossky décrit avec humour et réalisme le fonctionnement des familles de la grande bourgeoisie traditionnelle, leur affection envahissante, l'autorité des pères, la fausse résignation des mères, la rébellion des jeunes filles, la frime des fils. Elle rend surtout, à merveille, la chaleur, les bruits et les odeurs de Beyrouth et de la montagne.

La maison Zeidawi s'inscrit dans une catégorie littéraire spécifique au roman «?libanais?» et que l'on pourrait appeler «?romans du retour?». Les désorientés d'Amin Maalouf en fait partie. Ces récits ont en commun d’être rédigés de l'extérieur et de recourir à des prétextes similaires, un héritage, un enterrement, pour ramener leur héros au pays des origines et l'en extraire modifié. Cette veine, loin d'être tarie, est en tous cas rafraîchissante pour le lecteur qui vit au Liban et lui apporte un recul salutaire.

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
La maison Zeidawi de Olga Lossky, Denoël, 2014, 237 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166