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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman



Par Fifi Abou Dib
2013 - 07
De l’auteur, Denis Langlois, on connaît surtout, en plus de sa vingtaine de romans, son combat obstiné contre l’injustice (il est avocat, pénaliste, et notamment le défenseur de la famille Seznec). Longtemps conseiller juridique de la Ligue des droits de l’homme, il s’est aussi et tout autant distingué par ses prises de position contre la guerre du Golfe, séjournant au Liban dans les années 90 pour mieux témoigner de l’effet désastreux des guerres tant sur les individus que les sociétés. Cette expérience lui avait inspiré un récit, Le Déplacé, à mi-chemin entre roman et témoignage, où il raconte la difficulté de reconstruire une coexistence après les massacres. Le voici qui revient avec une nouvelle enquête, dans un tout autre registre cette fois, sur une maison abandonnée au cœur de l’Auvergne. La maison de Marie Belland met en scène un hameau qui tente de survivre loin de la civilisation, malgré les intempéries et une situation géographique ingrate. Cronce tient son nom d’une rivière aux crues inopinées qui lui impose son parcours sinueux et le coince à flanc de montagne en lieu où la route s’arrête. Installé lui-même dans un petit village d’Auvergne depuis une dizaine d’années, l’auteur livre ici une fiction attachante sur l’étrangeté de l’écrivain et sa légitimité en milieu rural, pire, montagnard. 

Le décor ainsi planté avec un panneau de signalisation imprécis mais une description du lieu si détaillée qu’on s’y croirait presque, Denis Langlois raconte qu’à l’endroit le plus inaccessible de ce village inaccessible, accrochée à un rocher où certaines cartes d’état-major signalent la présence d’un petit fort annoncé par deux grandes statues antiques, existerait une maison abandonnée dont, tout à coup, le compteur d’électricité se serait mis à tourner. Qui donc habite l’ancienne ferme de Marie Belland, laquelle Marie Belland a quitté le village depuis longtemps, depuis que son fils unique était mort à la guerre et qu’elle s’était mise à boire?? Cette énigme alimente les fantasmes au «?Café de la place?» tenu par la mère Fageon, veuve évidemment, avec sa faune habituelle?: Terrisse, le pisteur de gibier qui sait tout, Sicard, l’éleveur de sangliers, Moulharat, Masseboeuf, Jarlier, Finiel, Hugon, Jean-Baptiste le facteur. Tout ce petit monde a un solide penchant pour l’apéritif, sauf Moulharat qui préfère l’eau minérale. Ce compteur qui s’emballe excite l’imagination des habitués. Une première rumeur raconte qu’un couple d’écrivains se serait installé dans cette maison improbable. Certains diront qu’ils l’ont vu «?lui?», d’autres qu’ils l’ont croisée, «?elle?». Rien n’est sûr. Si ces deux-là se sont installés au creux de ce rocher «?pour écrire?» ou «?sculpter?» ou toute autre activité excentrique de ce genre, comment s’alimentent-ils?? Comment, s’ils ne l’ont pas restaurée, peuvent-ils habiter cette ruine?? Et puis d’ailleurs, où se trouve-t-elle cette maison?? Personne ne l’a jamais vue. Un jour, à la fin de l’été, au moment où les vacanciers ont plié bagages, surgit Alexandre Valès. Ce personnage, ainsi que le petit Mathias Coutarel, s’intéressent à leur tour à l’intrigue qui aimante les poivrots du café. «?Le petit Coutarel?» réussit à se faufiler là où les autres n’arrivent pas. Il ramène des preuves, des feuilles de papier où l’on peut déchiffrer, dans l’encre passée des lignes, quelques vers qui ressemblent à des messages codés. La fin est doucement tragique.

Tout auteur rêve de se retirer un jour ou l’autre dans un lieu isolé où il espère écrire. Sans doute, comme ces fantômes de la maison de Marie Belland, sa présence trouble-t-elle le quotidien pragmatique d’un village. Ces deux univers, celui du poète éthéré qui cherche le sens de la vie et celui du solide paysan qui lutte contre les éléments pour se nourrir, peuvent-ils se rencontrer?? Du fond de son Auvergne d’adoption, Langlois laisse la question ouverte.


 
 
© Denis Langlois
Tout auteur rêve de se retirer un jour ou l’autre dans un lieu isolé où il espère écrire.
 
BIBLIOGRAPHIE
La maison de Marie Belland de Denis Langlois, La Différence, 2013, 141 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166