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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Entre deux rives


Par Edgar DAVIDIAN
2007 - 12



Née à Damas dans une famille parfaitement bilingue, et résidant à Alep, Myriam Antaki est l'un des rares écrivains francophones habitant son pays, la Syrie. Plusieurs romans, servant avec un talent vif la langue française, sont déjà à son actif depuis la publication en 1985 de son premier opus Les caravanes du soleil chez Gallimard. Se sont succédé par la suite Souviens-toi de Palmyre (Grasset) qui retrace la vie de Zénobie, reine du désert, La bien-aimée (Olivier Orban) et Les Versets du pardon (Actes Sud). Une littérature haute en couleurs orientales et riche des légendes ancestrales d’une civilisation millénaire, étroitement liée à l’histoire de la région qu’elle habite et notamment à celle de la Syrie.

Aujourd’hui, paraît L’Euphrate (éd. Geuthner), un livre d’une poésie claire, ardente et intense. Titre simple pour un roman aux confins du bucolique, mais éminemment évocateur et éloquent pour traduire les préoccupations d’une femme écrivain éprise d’une terre à l’histoire et au passé glorieux et retentissant.

Entre allégorie, symbolisme et conte fantasmagorique d’un paganisme somptueux, le récit se fraie, insensiblement, un chemin vers le cœur du lecteur conquis par cet univers foisonnant de parfums, de couleurs, de musiques faussement barbares. Un monde aux phrases incantatoires où surgissent brusquement des dragons crachant du feu, un bordel pour hommes digne de Pétrone, des scènes d’une nuit d’amour torride mais tout en pudeur, une frémissante traversée de la passion entre un homme et une femme que rien n’égale, les images immémoriales de la guerre et de la cruauté humaine, l’espoir de la paix enfin retrouvée entre soi-même et les autres…

Pour tous « les faiseurs de mélodie et les chasseurs du vent », ce roman ciselé de main d’orfèvre use en toute subtilité du pouvoir envoûtant de la poésie pour s’abstraire à toute banalité ou prosaïsme. Lyrisme exagéré que d’écrire que « les étoiles s’appelaient soupir de lumière » ? Aux rêveurs impénitents, le Parnasse peut bien déroger aux règles du cartésianisme… Et ce n’est pas au hasard qu’on se réfère volontiers aux auteurs tels Alain Fournier ou Sylvie Germain (pour ne citer qu’eux) qui introduisent en toute beauté images sonores et pans de rêves dans des romans où l’insaisissable reste une lecture de plus à déchiffrer, à décrypter…

Avec Myriam Antaki, on approche une langue française sans préciosité aucune, d’une pureté de cristal, pour un récit qui emprunte, avec art, à la simplicité et frugalité des détails essentiels de la vie. Ici, l’histoire la plus ancienne, la plus reculée, s’érige comme un vibrant témoignage à l’intemporalité et l’universalité de la nature et du comportement humain. Seule la poésie a le pouvoir d’abattre toutes les barrières et d’abolir les frontières…

L’Euphrate est un véritable hymne d’amour à un fleuve (pensez donc un peu, mais dans un registre tout à fait différent, au Don paisible de Cholokov !), qui sort sans nul doute des chemins battus, par son atmosphère sensuelle et vénéneuse, ses personnages baroques, sa musicalité capiteuse et sa langue diaprée.

 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
L’Euphrate de Myriam Antaki, Geuthner, 2007.
 
2020-04 / NUMÉRO 166