L’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, qui était récemment en visite à Beyrouth, a connu un parcours étonnant : placé dès l’âge de 14 ans à l’Académie militaire de Lima, il bénéficie d’une bourse qui lui permet de poursuivre des études à Madrid. En 1958, il obtient un doctorat ès lettres avant de s’installer en 1959 à Paris où il deviendra enseignant et traducteur, puis rédigera plusieurs romans. Tenté un moment par le communisme, il redevient rapidement libéral en observant les dérives de la révolution cubaine. Il fonde au Pérou un mouvement de droite démocratique appelé Libertad et, en 1990, se présente sans succès à l’élection présidentielle péruvienne contre Alberto Fujimori. Il s’installe ensuite à Madrid où il obtient la nationalité espagnole sans renoncer à la péruvienne. En 1994, il reçoit le prix Cervantès, la plus importante distinction de la littérature hispanophone, puis devient membre de la Real Academia Española.

Son dernier roman, Tours et détours de la vilaine fille, est son trente-quatrième ouvrage. Il y décrit une histoire d’amour fou qui s’étend sur près de quarante ans, une quête infinie d’un amour qui se dérobe sans cesse, mais qui ne faiblit pas malgré toutes les trahisons. Mensonges et recherche de la vérité, poursuite de la fortune et du pouvoir, indulgence et ingratitude, tout y passe ! Le roman commence en 1950 au Pérou. Le personnage principal et narrateur, Ricardo Somocurcio, a 15 ans et ne rêve que d’une chose : vivre à Paris. Au cours de cet été-là, il rencontre dans son quartier de Miraflores, à Lima, deux Chiliennes de 13-14 ans. Lucy, l’aînée, danse le mambo comme personne et, naturellement, Ricardo tombe amoureux d’elle « comme une bête, la façon la plus romantique d’aimer – ce n’était pas de l’amour, mais de la rage », et lui déclare sa flamme à plusieurs reprises, bien qu’il ignore tout de sa famille. Le mystère est levé lors d’une surprise-partie où la jeune fille dont on fête l’anniversaire propose à Lucy et à sa sœur de les présenter à sa tante Adriana, Chilienne comme elles. Le pot aux roses est découvert : les deux sœurs sont en réalité péruviennes ! Bien entendu, elles ne seront plus invitées nulle part et disparaîtront sans que Ricardo n’oublie pour autant sa petite « Chilienne ». Quelques années plus tard, le jeune homme vit sa première année à Paris. Les temps ont changé : la révolution cubaine fait rêver les jeunes des cinq continents, mais Ricardo refuse les offres de Paul, membre du MIR péruvien, qui lui propose une bourse pour aller suivre une instruction militaire à Cuba. Il lui rend toutefois quelques services, comme héberger de futurs guérilleros chez lui. Un jour, Paul demande au narrateur d’aller chercher un groupe de jeunes filles à Orly pour les emmener à leur hôtel. Parmi celles-ci, Ricardo tombe sur « Arlette » qu’il met un certain temps à reconnaître : il s’agit de sa petite «Chilienne » ! Commence alors une longue histoire faite de disparitions et de réapparitions incessantes : les mensonges de « la vilaine fille » ne cessent pas ! Ricardo finit par travailler comme traducteur. Mais son seul désir est de vivre à Paris, alors que Lucy aux identités multiples ne vit que pour son ambition et pour son amour de la richesse et du pouvoir dû à un sentiment d’insécurité qui n’a jamais cessé d’être le moteur de toutes ses décisions.

Avec Tours et détours de la vilaine fille, Vargas Llosa nous offre un roman passionnant où évoluent des personnages pittoresques qu’on suit avec intérêt de leur Pérou natal à la France et l’Espagne en passant par le Japon. L’histoire de ces deux êtres qui se cherchent et se fuient, se perdent et se retrouvent pour mieux se perdre, est l’une des plus attachantes de la littérature contemporaine.