FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Roman



Par Clémence Boulouque
2006 - 08


Tous sont promis à la chute et tous s’aveuglent. Mais, une fois encore, plus que les vainqueurs, les perdants de l’histoire donnent corps à la littérature. Que le vent vous emporte s’ouvre sur une parole prophétique, celle de Daniel?: «?Et la main de feu, poursuivant son chemin, traça un troisième mot sur le mur de plâtre du palais?: «?Divisé.?» Aucun des convives pourtant ne le voyait, ils étaient ivres.?»  Ivres de revendications nationalistes dans un empire habsbourgeois qui vit ses dernières lueurs, les nobles magyares épris de chasse et de duel, épris de leurs terres transylvaines et de leurs bals pestois, ceux que la vie ne tardera pas à défaire,ceux que dépeint Miklos Banffy, sont bien connus du romancier. Né en 1873 et disparu en 1950, issu d’une des plus grandes familles de l’aristocratie hongroise, il est élu au Parlement en 1901 et devient ministre des Affaires étrangères dans l’entre-deux guerre. Avec le dernier volet de sa trilogie transylvaine, après Vos jours sont comptés et Vous étiez trop légers (Phébus, 2002), le temps est venu de redécouvrir un auteur qui, comme son compatriote Sandor Marai, est celui des crépuscules mais qui inscrit les intermittences du cœur dans des pages d’histoire minutieusement restituées, en des considérations foisonnantes sur la marche à la guerre, les rivalités européennes dans les Balkans et les accrocs qui précipitent la guerre, où la politique nourrit le roman et lui donne des échos proches des Thibault de Roger Martin du Gard. Certes, ces apparentes digressions, discussions d’antichambre du pouvoir, raviront surtout les amateurs de la géopolitique d’alors, mais c’est au vent d’une véritable saga que les quatre années précédant l’assassinat de Sarajevo, les derniers mois de l’empire austo-hongrois sont ressuscités, dans le rougeoiement des bois d’automne en Transylvanie. Aux côtés de Balint, l’amant d’Adrienne, emprisonnée dans un mariage de convention, dont l’époux a été interné et dont la passion est condamnée, auprès de son entourage, c’est le portrait d’une génération hongroise moins connue que celle de sa contemporaine viennoise qui se dresse.  Si les comparaisons avec Lampedusa ou Tolstoï sont peut-être un peu exagérées, l’œuvre fait néanmoins puissamment plonger dans une histoire intime et collective qui submerge ceux qui s’en croient les maîtres. Achevé par Banffy le 20 mai 1940, le livre se clôt sur le départ à la guerre de Balint, sa certitude et son désir d’être sacrifié dans une lutte qui lui est étrangère, son regard sur ses montagnes familières, sur les paysages à la beauté devenue funeste?: «?De longues échines de sommets aux flancs brisés. Cercueils gigantesques. Cercueils des peuples. / Alignés, immobiles et majestueux, au bas de l’incendie du monde.?»

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Que le vent vous emporte de Miklos Banffy, traduit du hongrois par Jean-Luc Moreau, Phébus, 380 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166