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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
La rebelle et le griot


Par Fifi Abou Dib
2016 - 08

Mauritanie, ancien territoire des Maures, à la croisée de l’Algérie, du Sahara occidental, du Mali et du Sénégal. Capitale, Nouakchott. Ce pays arabo-musulman, dont la langue administrative est le français, n’est indépendant de la France que depuis 1960. Il est intéressant de souligner que le premier recueil de poèmes francophone n’y est publié qu’en 1963 et le premier roman une vingtaine d’années plus tard. Mbarek Ould Beyrouk, qui signe ses œuvres « Beyrouk », a grandi dans le Sahara mauritanien, doublement bercé par la haute tradition des poèmes et des contes de son pays et par la poésie de Victor Hugo qui lui a été transmise par son père instituteur. S’il a fait des études de droit et fondé, en 1988, le premier journal mauritanien indépendant (Mauritanie demain), cet écrivain, aujourd’hui conseiller culturel du président de la République, dissèque inlassablement dans ses romans le tiraillement de son pays entre tradition et modernité. Complexité qui ne peut être résolue, au niveau du langage, qu’à travers la poésie dont il use à la manière d’un funambule suspendu entre les deux univers de sa culture contradictoire.

Le Tambour des larmes est le quatrième roman de Beyrouk. L’auteur y relate l’histoire classique d’une jeune femme séduite et abandonnée alors qu’elle est enceinte. À la différence que la jeune femme est issue d’une tribu du désert, et que l’amant disparu est un jeune ingénieur, venu dans ce reg avec une équipe qui avait, du jour au lendemain, débarqué avec des machines monstrueuses, entamé des travaux mystérieux et modifié le rythme des jours avec des bruits qui couvraient tous les autres. « Nous avions bien l’impression qu’il y avait quelques marches brisées dans l’escalier de notre temps. Les journées répondaient de plus en plus à des attentes qui n’étaient pas les nôtres. Le matin, nous étions réveillés par des bruits qui ne nous appartenaient pas », fait dire joliment l’auteur à son héroïne Rayhana. Que pouvaient faire les membres de la tribu, entravés par leur tradition d’hospitalité envers l’étranger ? Ils se résolurent à ignorer les intrus et leurs machines, n’ayant même pas dans leur vocabulaire pourtant riche, de mots pour en parler.

Ainsi se présente le choc des cultures : il commence par un bruit qui couvre les bruits familiers et se creuse ensuite dans l’impuissance de la langue à nommer une réalité qui ne lui appartient pas. Dans ce silence pourtant assourdissant, grandit dans la tribu un sentiment de honte, peut-être d’infériorité, qui par contraste entoure l’étranger d’un halo prestigieux. Yahya, le fringant ingénieur qui sait des poèmes et fume des cigarettes, se glisse de nuit dans la couche de Rayhana éperdue de peur et de désir, tandis que sa mère dort à quelques pas d’elle. Il continue à le faire jusqu’au jour où, sans aucun signal, le chantier est démantelé. Yahya repart aussi brutalement qu’il est venu. Rayhana est enceinte. Sa mère, qui est aussi la sœur idolâtre du chef de la tribu, la contraint à se marier et lui fait abandonner son enfant. Folle de rage et de liberté, Rayhana qui a pris goût à l’ailleurs prend la fuite. Elle prend la route vers la ville, dans l’espoir de retrouver son petit, son Marvoud. Elle emporte avec elle le tobol, tambour sacré dont se sert la tribu pour annoncer les événements : « Qu’ils me rendent Marvoud et ils auront le tobol. » L’auteur l’accompagne dans cette errance au cours de laquelle il lui offre des protecteurs et des amis, et la confronte avec la modernité, l’intolérance et l’injustice du monde.

Petit à petit, le romancier se fait griot. Il campe avec une grande finesse psychologique, avec une empathie bouleversante, le magnifique caractère féminin qui se crée sous sa plume. Il voudrait lui donner victoire, mais au fond, il sait que l’arrivée compte bien moins que le chemin parcouru.

 
 
Ainsi se présente le choc des cultures : il commence par un bruit qui couvre les bruits familiers et se creuse ensuite dans l’impuissance de la langue à nommer une réalité qui ne lui appartient pas.
 
BIBLIOGRAPHIE
Le Tambour des larmes de Beyrouk, Elyzad, 2016, 248 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166