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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
La fiction jusqu’au bout de la réalité


Par Maya Khadra
2016 - 10


Entre deux époques différentes, la diégèse se partage équitablement : Chicago au XXIe siècle et la France au Moyen-Âge. C’est l’histoire d’un couple de Français en cavale à travers les États-Unis et vivant dans la discrétion totale à travers leur fugue clandestine et passionnante. Alpagués par l’affiche d’une pièce de théâtre, Les Mariés contre eux de Charles Knight, ils succombent à la tentation de se dévoiler en public et risquent de se faire arrêter.

Au commencement du roman, un acte de défi… un affront qui pousse deux amoureux, un braconnier et une glaneuse dans l’œuvre de Knight, à vivre en dehors des lois de la communauté. Ils mènent une vie d’insouciance où, enfermés dans leur chaumière, ils s’aiment en perdant la notion du temps. Tel ce couple fictif, les amants français vivent en renonçant au système de la société moderne qui les épie, qui les poursuit, qui cristallise tous ses fantasmes autour de leur histoire rocambolesque. Dans le théâtre de Chicago qui témoigne de l’histoire des deux couples fictifs et réels, la scène devient la salle et la salle devient la scène. Et les deux amants sont élevés au rang du mythe. Un mot-dièse : #RunningLovers, ainsi sont-ils désignés sur les réseaux sociaux. Et leur présence au théâtre ce soir-là n’a fait que consolider leur détermination à affronter le monde en se rebellant contre ses normes étriquées. Sur la toile de leur histoire déjantée, se jette l’ombre lourde des préjugés qui passeraient pour des remontrances du chœur dans une tragédie grecque. Ils sont accusés de péchés mortels ; ceux qui entraînent les âmes perdues dans l’univers ténébreux de l’enfer de Dante. L’orgueil, car ils n’obéissent qu’à leurs seules convictions, la gourmandise et la démesure, la luxure et la paresse car ils chérissent l’oisiveté comme un trésor. Ces péchés vont les emporter jusqu’au bout de la démence… jusqu’à Montréal où ils se retrouvent, essoufflés après leur périple scabreux. Et au moment, où ils croient que la vague excitante de l’aventure s’amortit, la passion se ranime comme une braise s’alimentant du passage éphémère d’une brise. La fiction se prolonge et l’excipit succinct s’avère une nouvelle promesse ; un éternel recommencement de l’amour : « À peine enlacés, ils sentirent sous eux un mouvement de rotation qui leur fit craindre que leur histoire ne s’arrête pas là. »

Le roman de Tonino Benacquista est une assertion d’un aspect atavique de Dieu ; ce Dieu vengeur des textes vétérotestamentaires. Il apparaît dans les réflexions les plus sibyllines et absurdes du narrateur comme étant le juge strict qui châtie les dérapages passionnels et les désobéissances. Dieu, aux rebondissements les plus marquants du roman, se trouve contraint de prendre « une mesure exceptionnelle » et « offensé, il imagine pour les deux amants la pire épreuve ». Benacquista met en lumière dans Romanesque le bras de fer au coude-à-coude entre épicurisme et stoïcisme, désacralise la rectitude des normes qui mènent les hommes à la béatitude « une fois le seuil du panthéon (de Dieu) franchi » et prône sans détours la philosophie de l’amour.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Romanesque de Tonino Benacquista, Gallimard, 2016, 240 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166