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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
La genèse de l’épidémie d’Ebola : entre


Par Maya Khadra
2016 - 11


C’est au cœur du continent africain que Paule Constant, membre de l’Académie Goncourt, nous projette dans son roman Des Chauves-souris, des singes et des hommes, opus qui par son titre fait écho au genre littéraire de la fable mais qui ne tarde pas de s’affirmer comme roman réaliste relatant l’émergence du virus Ebola dans le continent noir. 

Tout commence par un geste d’exclusion dans le roman de Paule Constant. Olympe, une enfant issue d’un milieu tribal, porte le malheur d’être née fille. Glorifiant la virilité et enfantant des générations de guerriers, la tribu d’Olympe se considère « damnée » et « victime de la colère des dieux » après la naissance de cette fille qui ouvrira la vanne des naissances féminines. On fera alors d’elle un bouc-émissaire, une victime parfaite qui portera le poids des superstitions et des injustices d’une société primitive.

Ne pouvant pas rejoindre ses frères partis à la chasse, Olympe dépitée se réfugie sous l’ombre d’un manguier. Écartant de sa main les herbes hirsutes pour s’asseoir, elle frôle une masse velue et douce au toucher. Une chauve-souris dissimulée dans le feuillage sauvage croupissait, neutre, par terre. La bête minuscule et sans forces est alors adoptée par Olympe. Elle la trimballe partout avec elle, l’embrasse, lui glisse maternellement la langue dans le museau et l’emmène avec elle au village. Pour apaiser ses petits frères, encore nourrissons, elle leur dévoile la chauve-souris. Émile, le plus petit, en est émerveillé. Il veut saisir dans l’anse de sa minuscule main la bête fragile et la porter à la bouche. Le village bien à l’écart de cette scène, s’ébahit devant une masse de chair en décomposition ; une charogne de singe géant que les frères aînés d’Olympe auraient chassé, et s’en empiffre durant de longues journées. Quelques jours plus tard, Émile meurt, inaugurant ainsi une série de décès infantiles. Olympe est pointée du doigt. Elle aurait apporté avec sa chauve-souris une malédiction qui a fait périr sa fratrie, selon les accusations du milieu tribal. Olympe est alors martyrisée et battue impitoyablement par les femmes de la tribu à coups secs assénés sur son ventre, son dos et son visage. Olympe défunte aurait ainsi causé la mort d’Agrippine et Virgile aussi ; la première de chagrin de n’avoir pas pu sauver la fillette et le second contaminé du virus Ebola qu’elle portait.

Les spéculations, élucubrations et analyses scientifiques de Virgile et Agrippine, deux personnages tragiques pris dans les filets infrangibles du continent africain, contrastent avec les craintes et interprétations superstitieuses des membres de la tribu d’Olympe. Là où la science pronostique des cas de paludisme sévères – avant l’identification du virus Ebola – les superstitions accablent la tribu d’Olympe d’idées noires : sortilège, fille habitée par le diable, divinités en colère, tant et si bien qu’en dépit de leur contradiction intrinsèque, raison et superstitions s’avèrent porteuses d’une même fin : « Punir ». La mort étant imparable, les frontières entre science et craintes sacrées s’estompent. Olympe se sacralise et son agonie est échelonnée en quatorze étapes au nombre des stations du Chemin de croix de Jésus de Nazareth. Et la science impuissante face à l’épidémie galopante se désacralise. 

Combinés, superstitions, raison et sacré forment donc un champ bigarré où la mort rôde. Thanatos dans le roman de Paule Constant ne serait autre que la revanche de l’animal sur l’homme.

 BIBLIOGRAPHIE
 
Des chauves-souris des singes et des hommes de Paule Constant, Gallimard, 2016, 166 p.


Paule Constant au Salon
Proclamation du lauréat de la Liste Goncourt Choix de l’Orient 2016 en présence de Paule Constant, membre de l’Académie Goncourt le 11 novembre de 15h à 17h (Amphi Gibran et retransmis en direct à l’Agora)/ Signature des Chauves-souris, des singes et des hommes à 17h (Sored)
 
 
© Charly Gallo
 
2020-04 / NUMÉRO 166