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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Drame et violence dans une famille alépine


Par Jabbour Douaihy
2016 - 11


Khaled Khalifa, l’écrivain syrien né dans un village au Nord d’Alep, est d’abord scénariste, il écrit pour les télévisions arabes des feuilletons à succès. Son passage au roman s’en est forcément ressenti surtout au niveau du découpage séquentiel. Ainsi, son nouveau roman Pas de couteaux dans les cuisines de la ville qui a reçu le prix Naguib Mahfouz et vient d’être nominé dans la liste courte du Booker arabe, tout comme le précédent, Éloge de la haine (paru en français chez Actes Sud après avoir été interdit en Syrie), fait défiler une suite ininterrompue de scènes intenses racontant avec beaucoup de volubilité un temps, une ville et une famille.

Le temps est celui du dictateur puisque la Syrie sombre comme une fatalité et pour de longues décades sous le règne du Président (entendons Hafez el-Assad dont le nom n’a pas besoin d’être cité), omniprésent avec ses services de renseignement tentaculaires et son système d’inféodation sanguinaire, et avec lequel Khalifa essaie de dessiner les contours d’une figure littéraire bien familière dans la littérature d’Amérique latine. Cette chape grise, cette violence dans tous les interstices du tissu social, métamorphose lentement la vie des hommes et semble décider d’abord de la dégénérescence d’une ville et de la guerre civile larvée qui ne disait pas encore son nom, entre baassistes et islamistes. 

Alep aux mille traditions, de la riche cuisine à la musique, en passant par une aristocratie nostalgique et des microcosmes sociaux qui s’enrichissent d’apports de tous genres dans cette ville ouverte où la coexistence islamo-chrétienne est bien ancrée dans l’histoire, mais où la peur et la haine minent le quotidien pour définir l’enfer d’une famille que le roman de Khaled Khalifa accompagne.

En bon roman familial, Pas de couteaux dans les cuisines de cette ville commence par un non dit : la fuite du père aux Amériques en compagnie d’une blonde de passage, laissant deux garçons et deux filles en face à face avec une mère qui ne peut pas oublier sa noble extraction et son père grand fonctionnaire des voies ferrées et qui s’est laissé lentement et élégamment mourir sous les rails d’un train de marchandises. Et c’est cette mort lente, renouvelée qui devient le sort de cette famille subissant l’ombre pesante d’une mère vivant comme une blessure indigne la maladie de sa fille et l’homosexualité de son frère. L’oncle transmettra sa marginalité sexuelle et son amour de la musique à son neveu qui tentera l’aventure islamiste jihadiste en Irak tout en regardant sa sœur Sawsan s’identifier à l’oppresseur quand elle s’est embrigadée dans les rangs de la milice du Baas au pouvoir après avoir été une manière de prostituée pour finir à l’image de sa mère qu’elle disait toujours haïr.

La narration menée par le frère qui ne s’inscrit presque jamais dans le fil de l’histoire, est un peu trop saccadée et fait donc défiler des personnages parfois obscurs mais avançant toujours sur une corde raide les menant presque tous vers une fin inéluctable comme celle de Rachid, l’autre frère qui a vite épuisé toutes les possibilités de survie dans une Syrie carcérale et sur lequel se clôt le roman : « J’ouvris la porte de notre chambre et je fus pris de vertige. Le corps de Rachid pendait du plafond comme une lampe salie par les restes des mouches. Nizar le vit à travers la porte entrouverte et fit entendre sa plainte. Il savait qu’il allait mourir mais il attendit l’aube pour s’assurer que le compagnon de sa vie a bien serré le lasso, pour ne laisser aucun doute que la mort est aussi simple qu’un verre d’eau versé sur une terre sèche. » 

 BIBLIOGRAPHIE
 
Pas de couteaux dans les cuisines de cette ville de Khaled Khalifa, traduit de l’arabe par Rania Samara, L’Orient des Livres/Actes Sud, 2016, 256 p.


Khaled Khalifa au Salon
Dialogue entre Jabbour Douaihy et Khaled Khalifa autour du roman arabe d'aujourd'hui, animé par Farouk Mardam Bey le 8 novembre à 19h (Agora)/ Signature de Pas de couteaux dans les cuisines de cette ville à 20h (L’Orient des Livres)

Signature de Pas de couteaux dans les cuisines de cette ville le 9 novembre à 17h (Virgin)
 
 
© Ayham Dib
 
2020-04 / NUMÉRO 166