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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Un polar à l’envers


Par Georgia Makhlouf
2016 - 11


Il n’est sans doute pas facile de rebondir après un Goncourt. Alors que ses lecteurs attendaient la suite d’Au revoir là-haut couronné par la prestigieuse récompense en 2013, Pierre Lemaitre publie Trois jours et une vie qui s’annonce comme un retour au polar classique. Mais classique, ce roman noir ne l’est qu’en apparence. On a plutôt le sentiment qu’il s’agit d’un polar à l’envers. En effet, le meurtre a lieu dès les premières pages et le lecteur assiste, la gorge serrée, au drame qui se déroule sous ses yeux – drame d’autant plus atroce que la victime autant que le meurtrier en sont des enfants. Si tout est dit d’entrée de jeu, comment l’intrigue se construit-elle et comment le romancier tient-il son lecteur en haleine pendant près de 300 pages ? Tout l’art de Lemaitre consiste ici dans l’habileté avec laquelle il mène cette enquête inversée, inversée puisque l’enjeu en devient non de découvrir le meurtrier, mais plutôt de ne pas le découvrir. On se surprend ainsi à souhaiter que les indices laissés par le meurtrier ne soient pas repérés, qu’il ne soit pas démasqué et qu’il parvienne à poursuivre le cours normal de sa vie après ces trois journées terribles qui l’auront marqué à jamais. Balancement inconfortable entre nécessité morale qui exige la punition du coupable et empathie avec l’assassin malgré le caractère horrifiant de son geste : Lemaitre place son lecteur dans cette drôle d’alternative. 

Comme dans Au revoir là-haut qui racontait l’après-guerre et non la guerre, ce roman se situe lui aussi dans l’après. La question centrale, le fil rouge, consiste donc à raconter comment on vit avec un si terrible fardeau sur la conscience, comment on s’accommode avec le fait d’être devenu, même de manière accidentelle, un meurtrier. Entre le désir d’être démasqué, d’assumer la culpabilité et que le cauchemar enfin prenne fin, et celui de tourner la page, de continuer à vivre, d’oublier, Antoine (douze ans au moment des faits) va traverser une quinzaine d’années qui voient le jeune adolescent devenir un homme, rêver d’une vie heureuse, et y renoncer. 

Tout cela se passe dans une petite ville de province entourée de forêts, avec sa chorale, son arbre de Noël et ses problèmes de chômage. Une petite ville qui bruisse de rumeurs et où les inimitiés sont légion, ce qui n’empêche pas la solidarité en cas de coups durs. Ancré dans une géographie et une sociologie particulières, ce roman est aussi la peinture d’une époque, de ses problèmes et de ses faits divers. On le lit avec beaucoup de plaisir, l’affaire est rondement menée, l’écriture fluide et l’humour parfois décapant.
 
 BIBLIOGRAPHIE
 
Trois jours et une vie de Pierre Lemaitre, Albin Michel, 2016, 284 p.
 
 
Pierre Lemaitre au Salon
Rencontre autour de Trois jours et une vie, le 5 novembre à 19h (salle RDC)/Signature à 20h (Stephan)
 
 
© Patrice Normand
 
2020-04 / NUMÉRO 166