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Roman
Pas très auguste, Strindberg
En donnant la parole à ses trois anciennes femmes, Régine Detambel dresse un portrait peu flatteur de l'auteur de Mademoiselle Julie. Mais le nouveau roman de l'écrivaine française peut aussi se lire comme l'impossibilité de domestiquer un être tempétueux et profondément libertaire.

Par William Irigoyen
2017 - 02
La première et la troisième sont actrices. La deuxième, femme de lettres. Siri von Essen, Frida Uhl et Harriet Bosse croisent l'une après l'autre le chemin d'August Strindberg... et en deviennent successivement l'épouse. Pour le meilleur et surtout le pire, conclura le lecteur, une fois refermé Trois Ex. Écoutons la première d'entre elles, Siri, fille d'un baron germano-balte, qui se donne moins au dramaturge suédois par amour que par respect des conventions sociales d'une époque allergique aux naissances hors union religieuse : « August et moi, on va se marier. Bien obligés. Je suis enceinte. »

Quelques pages plus loin, quand il devient évident que le bébé ne survivra pas, la froideur du constat s'exprime au grand jour : « August est incapable de me consoler. Il ne sait pas écouter. Il se plaint. » Une fois la brèche ouverte, les mots deviennent encore plus durs. La condamnation est sans appel : « Il ne pouvait aimer qu'en blessant. Il ne pouvait aimer qu'en foutant le feu. » Est-ce parce que sa douleur est grande d'avoir perdu sa mère, morte de tuberculose, et d'avoir vu son père se remarier avec la gouvernante que Strindberg se montre parfois si dur ? Peut-être. 

Il est sûr en revanche qu'année après année le couple bat de plus en plus de l'aile. Un enfant meurt, un autre voit le jour. « La naissance de Greta va me coûter ma carrière », lance Siri qui, un temps semble s'enticher d'une certaine Marie David : « Elle est danoise, elle est lesbienne, et dès le premier soir je suis folle d'elle, je ne peux pas cacher le sourire dans mes yeux, amoureuse folle, ça se voit du premier coup cette chaleur entre nous, le souffle de cette chaleur. » Le divorce est au terme d'un épisode judiciaire. L'une des pièces de Strindberg, Mariés !, est saisie pour outrage à la religion. Le dramaturge est finalement acquitté.

Frida Uhl succède à Siri von Essen. Écrivaine, critique littéraire née en 1872 à Mondsee en Autriche, elle traduit en allemand l'œuvre de son époux. Mais que l'on ne s'y trompe pas : admiration n'est pas soumission. La jeune femme n'entend subir aucun diktat masculin, fût-il celui d'un homme qui compte dans le monde des lettres : « Frida se veut libre, entendez sans homme attitré pour lui dispenser le pain, le sexe et les idées. » Qui sait si l'homme de théâtre, libertaire de cœur, de corps et d'esprit n'a pas trouvé en Frida une sorte de double au féminin ?

Puis c'est Harriet Bosse, actrice comme Siri, qui entre en scène et débarque dans la vie d'August. Cette nouvelle union est l'antithèse d'une relation apaisée. Sans ambages, la nouvelle Madame Strindberg lance : « Je l'ai quitté douze fois, je suis revenue onze fois. Chaque fois je me disais ça y est j'ai réussi à quitter August Strindberg, mais deux jours plus tard j'étais de retour, liquéfiée, prête à tout. » Prête à tout, y compris revenir en pleine nuit dans le lit de son époux après avoir quitté son amant, l'acteur Gunnar Wingård. Ne pouvant supporter sa rupture avec Harriet, ce dernier se tirera une balle dans le cœur. 

La fin du « spectacle » est dans cette même veine dramatique. Siri n'assistera pas à l'inhumation d'August le 19 mai 1912. Elle meurt trois semaines avant son ancien mari. Bien vivantes, Frida et Harriet manqueront elles aussi à l'appel. Strindberg quitte la scène en vrai anarchiste : « Surtout pas de prêtre, j'ai toujours réglé mes dettes moi-même, par mes propres souffrances, en portant tout seul ma croix, c'est la moindre des choses. De toute façon, je n'ai plus la foi. Pendant que je luttais contre Satan, j'ai vu Dieu qui se contentait de regarder, les bras croisés, je n'ai absolument plus la foi... »


 
 
D.R.
« Frida se veut libre, entendez sans homme attitré pour lui dispenser le pain, le sexe et les idées. »
 
BIBLIOGRAPHIE
Trois ex de Régine Detambel, Actes Sud, 2017, 144 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166