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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Le périple d’un anti-héros


Par Maya Khadra
2017 - 04
Jean-Marie Rouart, membre de l’Académie française et plume à l’élégance envoûtante, nous livre le récit glauque et rocambolesque du directeur désenchanté et au bord de la démence d’une prestigieuse revue artistique. Jeunesse Perdue… un véritable page-turner qui embarque le lecteur dans une trame narrative aux accents pathétiques et fantasques. C’est l’histoire d’un homme qui prend mélancoliquement conscience de l’inanité de l’art, de la superficialité de l’intelligentsia obséquieuse à laquelle il appartient et qu’il fuit comme la peste pour se réfugier avec fringale dans la suavité de la chair et la volupté des simples plaisirs de la vie, à l’aube de sa vieillesse. Le roman évolue dans le sens du désenchantement, ce qui fait du narrateur homodiégétique, un anti-héros se précipitant sciemment vers sa ruine et vers la destruction de son univers artistique où « la frime, la roublardise, la mythomanie moissonnent plus de lauriers que le talent et la probité ».

L’incipit s’ouvre sur une série d’élucubrations absurdes et élégiaques. Une sorte de phrases aux aspérités rhétoriques complexes entravent l’enclenchement des actions dans le roman de Rouart. Les tropes du miroir et de la mimésis abondent pour mettre en exergue l’idée de l’effet miroir incarné par l’Autre. Le narrateur se dévalorise et se dissout dans le regard d’un Autre qui ne le désire plus : « À quoi bon les rencontres quand les yeux des femmes ne s’allument plus ? » L’homme aux abois et livré au scénario apocalyptique et imparable de l’étiolement de sa jeunesse est alors en quête de pétulance, de fantaisie, d’amour charnel et de palpitations. Sans ambages, il affirme cette soif de désir tout au long de la diégèse : « Je n’allais pas jusqu’à demander de l’amour. Seulement du désir. Du feu. Assez de cendres ! » Valentina, une jeune femme russe, jette son dévolu sur lui. Elle le harcèle pour lui publier un de ses articles jugé par le légionnaire du monde artistique parisien comme pauvre et « illustrant tout le désordre mental contemporain ». Et le jour où il la croise, son destin est chamboulé. La femme fatale au charme redoutable entortille l’homme résigné à accepter l’hiver. Commence alors une histoire d’amour déjantée agrémentée de hauts et de bas, de soubresauts, de jalousies et de trahisons. Pour peu qu’il entrevît le bonheur, il était prêt à hypothéquer sa vie. Et il l’hypothéqua. Sans regret, mais avec le désintéressement d’une personne suicidaire et succombant à un spleen morbide.

Mensonge, affabulation et illusion
La toile de fond qui tapisse le roman de Rouart repose surtout sur les couples antithétiques du mensonge et de la vérité, de l’illusion et de la désillusion. Un mensonge en dévoile un autre : grâce au surgissement de Valentina, la fille de joie embourgeoisée, le narrateur découvre la duplicité de sa bonne femme et ses multiples adultères. Une désillusion crée paradoxalement une illusion ; se sentant trahi, le narrateur se réfugie dans les bras d’une femme indomptable et infidèle. L’engrenage des péripéties fonctionne comme un miroir aux alouettes pourchassant le narrateur jusqu’à sa fin, jusqu’à son anéantissement dans l’univers de l’être aimé. Cependant, la dernière phrase du roman est trompeuse et perpétue le vertige généré par les tribulations du narrateur : « J’avais vécu. » Est-ce un rappel que la vie demeure une pulsion supérieure à celle des vicissitudes de la chair ? Ou un constat emprunt de sarcasme sur la vanité de la vie ?


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Une Jeunesse perdue de Jean-Marie Rouart, Gallimard, 2017, 176 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166