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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Floraison unique sur les bords de la Seine


Par Bahjat Rizk
2017 - 07
Le premier roman de Nada Bejjani Raad est atypique, tant dans son écriture simple, érudite et poétique, que dans son contenu audacieux et paradoxal. Il relève autant du récit fictif, du livre de souvenirs pudique et du manifeste socio-culturel engagé. Tout en conservant son unité et son harmonie, à travers une succession diligente et succincte de séquences et une économie dépouillée du discours. Avec une grande vivacité, il allie gravité et légèreté, maturité et ingénuité.

Certes au départ il y a un vécu qui s’échelonne entre le village de Basroun où le personnage principal passe ses vacances d’été, l’école des filles de l’enfance et puis la vie professionnelle et personnelle dans la nouvelle ville proche de Paris (La Défense). L’auteure y évoque également à travers ses différents personnages les liens complexes familiaux (mère-fille, père-fille, père-grands-parents…) où cohabitent vaille que vaille, à travers les générations, le système semi-patriarcal libanais et le système individuel français. Mais au cœur de l’intrigue, il y a Claire qui vit sa mutation en tant que mère (dont la fille Léa est devenue une femme) et en tant qu’urbaniste (dont la carrière arbitrairement piétine) et nous narre les combats quotidiens qu’elle doit mener, pour surmonter ses propres contradictions, se faire reconnaître et rester fidèle à elle-même. En déconstruisant le récit, d’une certaine manière elle se reconstruit progressivement, pour trouver en conclusion son plein accomplissement.
Claire est donc libanaise, en pleine maturité, émigrée en France, issue d’une famille classique de la classe moyenne libérale, toujours enracinée au Liban mais également insérée en France, animée d’une grande quête d’excellence. Ce souci de se dépasser, de maîtriser les choses sans se trahir et sans provoquer d’inutiles conflits fait qu’elle doit user de persévérance et de fermeté, pour préserver son espace dans le monde agité qui l’entoure. C’est sa force d’endurance et sa tendresse cachée qui la maintiennent. Ce sont ses armes secrètes. Ce n’est pas son ambition sociale ou matérielle mais son désir de justice et d’intégrité, son idéalisme mélangé de fierté qui la renforcent. Elle doit affronter les préjugés, les expérimentations, les manipulations, les demandes incessantes de son entourage mais elle ne pose jamais de jugement moral sur eux, tout en conservant toute sa lucidité bienveillante. 

Claire est le fruit d’une nature passionnée qui a été soumise à une éducation rigoureuse et puis s’est elle-même autodisciplinée comme si elle puisait ses ressources dans ses carences. L’agave tire son nom du grec et signifie «?digne d’admiration?». Il désigne une plante qui ne fleurit qu’une fois pour mourir. 

Le livre de Nada Bejjani Raad témoigne d’un véritable attachement aux racines et à l’enfance, une dévotion discrète aux liens familiaux, un dévouement à son métier et surtout un amour grandissant de Paris, en tant que ville nouvelle (Montparnasse, La Défense). Il restitue dans sa complexité une nouvelle expérience libanaise qui se transmet aujourd’hui en nombre, sur les bords de la Seine. Partant de données classiques et conventionnelles, l’écriture, tout en gardant sa singularité, offre autant dans son contenu que dans son cheminement, un accès à la modernité.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Le Jour où l’agave crie de Nada Bejjani Raad, L’Harmattan, 2017, 170 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166