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Roman
Katarina Mazetti entre deux mariages


Par Jabbour Douaihy
2017 - 07
«Cette chose plus compliquée et plus confondante que l’harmonie des sphères : un couple. » C’est comme si l’auteure suédoise à succès (1,5 million d’exemplaires vendus rien qu’en France pour son livre Le Mec de la tombe d’à côté), Katarina Mazetti tentait avec son dernier ouvrage traduit en français de répondre à cette (in)définition de Julien Gracq. En une petite trentaine de « séquences » qui semblent se dérouler dans une Suède familière, Mazetti explore les formes habituelles ou insoupçonnées de la prévisible mésentente entre un homme et une femme qui auraient passé quelques années ensemble et finirent par se partager les enfants et les biens acquis en commun. C’est naturellement le point de vue et l’insondable affectivité de la femme, souvent narratrice, qui colore ces contes de la folie conjugale où le divorce remet les choses à plat et ne semble pas toujours être le remède escompté.

Bengt, Monika, Ulla, Elin, Stig ou même Lankelot animent ce paysage nordique de familles recomposées, bruyantes mais finalement en bonne entente, les vacances avec les enfants de l’autre, les petits riens qui marquent l’union ou la désunion des époux, les querelles publiques ponctuées d’intermèdes poétiques d’occasion. Certains moments accrochent, comme ce repas de Noël prévu entre le couple et les deux enfants de l’homme (qui parlent à leur belle-mère comme à une employée de maison) mais qui finit avec neuf couverts dont la mère de la première épouse du mari qui, elle, a préféré fêter Noël en Afrique du Sud, deux copains de ses enfants, l’épicier grec du coin et la pauvre résidente d’une caravane municipale qu’il n’a pas pu s’empêcher d’inviter. La veillée tourne au cauchemar dans un récit bien monté. Ou cette « cérémonie » (On fête l’union, fêtons la séparation !) d’un divorce méticuleusement préparé durant un an : biens partagés, l’homme et la femme ont de nouveaux partenaires, tout le monde s’accepte, on pousse le rituel jusqu’à organiser un « antivoyage » de noces, donc un séjour à l’île de Crête pour les divorcés qui finirent par y fêter… leurs retrouvailles. Les situations peuvent devenir cocasses : l’ancien mari d’Eva sera trois fois père après leur divorce puisque Eva a recours à ses échantillons de sperme congelés pour lui faire trois beaux garçons en absence et les lui envoyer en guise de vengeance.
Bien sûr, l’auteure ne joue pas les gourous et n’a pas de recettes à administrer. Qui en a quand il s’agit de savoir s’il vaut mieux se séparer ou se subir ? Tessan et Theresa se querellent durement et en ininterrompu et le jour où elle fait ses valises, il découvre qu’il l’aime à en pleurer. Certains départs sont plus dans l’ordre des choses : « Elle ressentait pour lui à peu près ce qu’elle ressentait pour son dentiste (…) Il lui avait fait mal, mais elle comprenait que ça avait été nécessaire. » Pourtant certaines solitudes sont mal vécues comme pour cette femme qui appelait son téléphone fixe avec son portable pour écouter les sonneries retentir dans l’appartement à moitié vide, tentant de se faire croire que quelqu’un essayait de la joindre.

Ironiques ou tendres, cocasses ou poétiques, toujours légères et bien menées, ces pans de vie déchirée ou recomposée proviennent aussi d’une expérience apparemment vécue de Katarina Mazetti. À la question de savoir si la narratrice de tous ces déboires matrimoniaux avait connu la vie à deux, elle répond volontiers : « Je suis entre deux mariages. »


 
 
D.R.
« Elle ressentait pour lui à peu près ce qu’elle ressentait pour son dentiste. Il lui avait fait mal, mais elle comprenait que ça avait été nécessaire. »
 
BIBLIOGRAPHIE
Petites Histoires pour futurs et ex-divorcés de Katarina Mazetti, traduit de l’italien par Lena Grumbach, éditions Gaïa, 2017, 235 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166