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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Castro voulait lui faire un enfant


Par Fifi Abou Dib
2017 - 08
Il fallait bien quatre mains pour écrire cette biographie parfois douloureuse, forcément enrobée de fiction, histoire de tenir la crudité du réel à distance. Évelyne Pisier, écrivaine, politologue, professeure des universités, épouse de Bernard Kouchner dont elle a trois enfants puis d’Olivier Duhamel avec qui elle en adopte deux autres, chiliens, n’était pas une figure banale. Née à Hanoi en 1941, elle est la fille d’un haut fonctionnaire français, chrétien par patriotisme, maurrassien, vichyste, raciste, antisémite. Elle n’a que quatre ans quand l’armée japonaise envahit l’Indochine et se retrouve prisonnière avec sa mère dans un camp de concentration où elle connaît la peur, la faim, la soif et le manque d’hygiène. Sa mère est sous l’emprise de ce père autoritaire en qui elle voit un héros. La famille est ensuite mutée en Nouvelle-Calédonie où une bibliothécaire fait découvrir à la mère d’Évelyne Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir. De grande bourgeoise, celle-ci devient féministe et, à son retour en France auprès de ses parents qui vivent à Nice, milite en faveur de l’avortement et de la contraception, montre à sa fille la voie de l’engagement et l’exhorte à faire de hautes études. Toutes deux se lancent dans la révolution de mai 68, rédigent des tracts et des slogans, subissent les gaz lacrymogènes, le « panier à salade » et la violence des barricades.

Évelyne s’engage, bien qu’avec réticence, dans le mouvement communiste estudiantin où milite également Bernard Kouchner. L’UEC organise un voyage à Cuba, Évelyne embarque avec le groupe qui est reçu par Fidel Castro en personne. Elle vivra avec le Lider Maximo une histoire d’amour passionnée qui durera près de quatre ans et dont témoignent des lettres ardentes. C’est encore sa mère qui la convainc, lors d’un dernier voyage à Cuba où elle l’accompagne, de ne pas céder aux sirènes du héros qui vient de lui proposer de lui faire un enfant. De retour en France, Évelyne épouse Bernard Kouchner, héros à sa manière, qui fonde Médecins sans Frontières. Quelques années plus tard, sa mère qui, paradoxalement ne supporte pas l’idée de vieillir, se donne la mort, suivie deux ans plus tard du père d’avec qui elle a divorcé puis qu’elle a ré-épousé pour le quitter à nouveau, suivie aussi de la sœur d’Évelyne, l’actrice Marie-France Pisier, suicidée par noyade. 

Mais c’est le suicide de sa mère, suicide fondamental, qu’Évelyne veut d’abord interroger en se lançant dans cette biographie qu’elle ne peut achever, elle même rattrapée par la maladie à l’âge de 76 ans. C’est alors qu’entre dans son histoire la jeune éditrice des Escales, Caroline Laurent, avec laquelle se tisse un lien d’amitié profond. Évelyne Pisier confie à Caroline Laurent la trame du récit tel qu’elle le conçoit et des notes consistantes. L’éditrice s’engage à terminer le livre, même seule, ce qu’elle fera, la mort d’Évelyne survenant en cours de route. Les noms des protagonistes sont changés, pour établir cette distance pudique qui permet d’écrire l’intime sans l’exposer. Petit à petit, Caroline Laurent insère sa petite voix dans le récit. Pour la première fois, le travail de l’éditeur est révélé au lecteur. Un travail d’accompagnement, de partage, de coécriture. La maïeutique devient fusion, émotion, attachement. Les confidences de Caroline Laurent se font au fur et à mesure plus personnelles. Sa propre mère est mise en miroir dans le récit d’Évelyne. Le titre, Et soudain, la liberté, met en perspective 50 ans de lutte acharnée pour le rétablissement des droits des femmes, et à travers elles ceux des homosexuels et des peuples colonisés.

 
BIBLIOGRAPHIE
 
Et soudain, la liberté d’Évelyne Pisier et Caroline Laurent, Les Escales, 2017, 450 p.
 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166