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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Daniel Rondeau dans la machine du diable


Par Lamia el-Saad
2017 - 09

De prime abord un peu déroutant, ce gros pavé de 458 pages est une longue succession de textes indépendants, de longueur inégale. Des tranches de vie que rien ne semble relier et qui donnent à ce récit un aspect décousu, jusqu’au moment où le lecteur devine que les personnages, si différents soient-ils, sont les maillons d’une même chaîne, et que leurs chemins vont forcément se croiser. 

Un roman qui n’est pas sans rappeler celui de Max Gallo, Les Hommes naissent tous le même jour, ou encore le film de Claude Lelouch, Les Uns et les autres : ils racontent plusieurs histoires qui finissent par n’en faire qu’une seule.

Il n’y a pas véritablement de protagoniste, chaque personnage assumant le rôle principal à un moment donné. Ils ne sont cependant pas tous égaux : en effet, l’un d’entre eux, l’archéologue Sébastien Grimaud, écrit à la première personne. Ils sont archéologue, diplomate, agent double, policier, trafiquant d’antiquités, trafiquant de drogue, caïd de la cité, indic, islamiste, émigré, journaliste, avocate, lycéenne, prostituée… Ils se nomment Habiba, Bruno, Rifat, Rim, Jeannette, Levent, Emma, Sami, Moussa, Harry… Tous semblent avoir perdu « le secret de la vie » et errent comme une « boussole sans aiguille ». Chacun a sa blessure, son contexte professionnel, sa sexualité qui fait basculer le lecteur, de manière assez régulière et à l’insu de son plein gré, dans une dimension sensuelle des plus agréables… 

Malgré l’existence d’un narrateur fictif, c’est bien la plume et le style rapide et extrêmement fluide de Rondeau que l’on retrouve d’un bout à l’autre de ce roman. Son style mais pas son vocabulaire. Tel un caméléon, il maîtrise à la perfection le jargon de chacun de ses personnages : celui du flic, du terroriste, de l’archéologue, la langue de bois des hommes politiques, l’argot des cités, le langage coquin des amoureux. Riche en dialogues, écrit à la manière d’un scénario, avec des descriptions précises et détaillées, ce récit permet au lecteur de « visualiser » chaque scène comme s’il en était le témoin. 

Sans jamais tomber dans le cliché, Rondeau décrit les choses avec la justesse de celui qui les a vécues. Il dédicace d’ailleurs à Habiba (la vraie !) ce livre où le vrai et le vraisemblable se confondent.

Parmi les très nombreux lieux qui servent de décor à ce roman polyphonique (Sétif en Algérie, Paris, Tripoli en Libye, Londres, Istanbul, Carthage…), Malte occupe une place centrale. Et cela ne surprend guère lorsque l’on sait que Daniel Rondeau fut ambassadeur de France à Malte durant trois ans. « Jamais on n’avait autant parlé en France de la République de Malte, et de la France à la Valette, qu’entre 2008 et 2011 ! »

Nommé ambassadeur permanent auprès de l’UNESCO en 2012, il fait partie de ces rares écrivains à avoir été « bombardés ambassadeurs au tour extérieur ». Journaliste, écrivain et diplomate, il demeure avant tout un homme engagé. L’une des causes qui mobilisa tous ses efforts, pendant de longues années, fut celle du Liban. Parmi ses très nombreux ouvrages, citons Malta Hanina et Chronique du Liban rebelle. Un engagement tous azimuts qui fit dire à Jean-David Levitte, conseiller diplomatique de l’Élysée en 2012 : « Donnez-moi dix Rondeau et la France présentera au monde un autre visage. »

« Et si la fiction était le meilleur moyen pour raconter un monde où l’argent sale et le terrorisme mènent la danse ? » À travers ses personnages qui ne le cachent qu’à moitié, l’auteur pose de vraies questions et traite des problèmes d’actualité : le sort des sites archéologiques livrés aux islamistes, l’exécution (filmée !) des otages occidentaux, la radicalisation des musulmans dans une France « déboussolée », les zones de non-droit, le trafic de drogue dans les cités, le peu de moyens dont dispose la police française qui, pourtant, doit faire face à la menace terroriste, l’endoctrinement dans la prison de Fleury décrite comme un « petit califat » ou encore comme « la plus grande mederesa d’Europe », les raisons qui poussent au djihad, le sort des réfugiés clandestins, celui des Kurdes de Syrie, la lutte contre l’État islamique, la politique américaine au Moyen-Orient…

Le titre Mécaniques du chaos est approprié au sens où Rondeau ne traite pas ces sujets (pour le moins opaques) de l’extérieur mais bien en analysant chaque rouage de ce mécanisme complexe, diabolique et destructeur. 
 
 BIBLIOGRAPHIE
Mécaniques du chaos de Daniel Rondeau, Grasset, 2017, 464 p.
 

 
 
© Jean-François Paga
 
2020-04 / NUMÉRO 166