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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Se méfier des hommes


Par Fifi Abou Dib
2018 - 01


Trois ans de recherches, de voyages entre Günzburg en Allemagne, l’Argentine, Panama et le Brésil, des centaines d’ouvrages et de documents compilés. À l’évidence, Olivier Guez a écrit La Disparition de Josef Mengele comme on livrerait un combat contre un ennemi intime. Le scénariste de Fritz Bauer, un héros allemand, semble s’être lancé dans l’écriture de cette biographie à peine romancée (malgré la mention roman qui souligne le titre de l’ouvrage) pour boucler une boucle entre le procureur général Bauer, traqueur jusqu’à sa mort en 1968 des criminels nazis, et cet « ange de la mort » que fut Mengele, disparu en 1979 sans avoir jamais comparu devant la justice pour les crimes les plus horribles qu’un être humain ait jamais pu commettre.

Exfiltré en Argentine en 1949, bénéficiant de la protection de Perón et de la Nazi society établie en Amérique du Sud, Mengele peut aussi compter sur la fortune de sa famille, propriétaire à Günzburg, en Bavière, d’une usine de machines outils agricoles, pour acheter du silence, de l’indulgence et de faux papiers. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le monde n’a d’ailleurs pas encore découvert l’ampleur de l’horreur des camps de concentration et manifeste plus de zèle à enterrer le douloureux conflit qu’à rouvrir des dossiers nauséabonds. C’est donc à la faveur de cette gueule de bois que Mengele commence sa cavale.

Mengele dont Guez résume la trajectoire en quelques mots : « Un homme sans scrupule à l’âme verrouillée, que percute une idéologie venimeuse et mortifère dans une société bouleversée par l’irruption de la modernité. » Est-ce ainsi que naissent les monstres ? Sur le terreau de la bourgeoisie ordinaire, sur les structures psychiques les plus banales qui soient ? Selon les conclusions d’Olivier Guez, l’histoire de Joseph Mengele qui adopte comme premier pseudonyme le prénom de Gregor, (celui du personnage de La Métamorphose de Kafka qui se transforme en cafard), est simplement celle d’un jeune homme en conflit avec un père autoritaire. Pour se prouver, il étudie la médecine dans l’Allemagne humiliée qui favorise la montée du IIIe Reich. Il obtient de ses supérieurs le privilège de mener des expériences in vivo au camp de concentration d’Auschwitz. Là, sur les rampes de triage, il choisit ses spécimen : jumeaux, nains, homosexuels. Des tziganes, des juifs, à ses yeux et à ceux de ses assistants des êtres qui n’appartiennent pas à la race humaine. La cruauté de ses expériences n’a pas de limite : il arrache des yeux, en brûle d’autres pour en changer la couleur, ampute des jumeaux pour les recoudre l’un à l’autre et fabriquer des siamois qui finissent par mourir dans des souffrances atroces, ainsi de suite. Ces détails ne seront confirmés qu’en 1985, lors d’un simulacre de procès in absentia à Jérusalem contre Mengele retransmis en mondovision, où l’on entend l’insoutenable témoignage des survivants. Mais Mengele est mort six ans plus tôt. La frustration est à la mesure de la douleur. Le roman d’Olivier Guez apporte une réponse et peut-être un baume à ceux qui auraient voulu le regarder dans les yeux à ce moment-là, ceux qui lui auraient peut-être craché à la figure ou demandé des comptes.

À défaut, la biographie que nous en livre l’auteur, lauréat du Renaudot 2017 pour cette œuvre minutieuse, reportage journalistique tout autant qu’étude psychologique, montre un homme d’une navrante médiocrité, un lâche avant toute chose, qui finit sa vie au Brésil croupissant dans son urine. C’est harcelé par ses propres démons, imagine Guez, qu’il meurt d’une crise cardiaque, au milieu des vagues où il essaie de se soulager de son propre poids. Bien plus tard, ses ossements déterrés, analysés, livrés à la science, connaissent le même sort que ceux de ses victimes. Il n’y a pas de hasard. « Il faut se méfier des hommes », conclut l’auteur.


 BIBLIOGRAPHIE
La Disparition de Josef Mengele d’Olivier Guez, Grasset, 2017, 239 p.
 
 
 
© Joel Saget/AFP
L’histoire de Joseph Mengele est celle d’un jeune homme en conflit avec un père autoritaire.
 
2020-04 / NUMÉRO 166