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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman



Par Antoine Boulad
2018 - 09


René Otayek, directeur de recherche au CNRS en France et enseignant à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, vient de combler un vide que l’on vivait comme un manque?! Raconter l’histoire du Liban, raconter tous les liens que celle-ci tisse avec les pays du Levant?; narrer en outre l’histoire de sa famille dans le miroir de laquelle se retrouveront d’innombrables familles ne constitue pas uniquement une belle aventure littéraire – qui sous la plume d’Otayek se révèle d’un beau talent – mais une entreprise salutaire en ce qu’elle contribue à restituer la mémoire collective de notre région en ce «?siècle de téta?», une œuvre de survie identitaire et nationale, pour le dire pompeusement?!

Les Abricots de Baalbeck n’est donc pas un roman mais un récit romancé, à la fois historique et biographique, et dont le croisement spatio-temporel se situe aux débuts du XIXe siècle à l’époque précédant la chute de l’Empire ottoman – venant d’Alexandrie, Evelyne Catafago «?accosta au port de Beyrouth le 1er janvier 1926?» – et s’étend jusqu’à nos jours dans une aire géographique qui englobe la Palestine, l’Égypte et le Liban, Saint-Jean-d’Acre, le Caire et Aïn el-Remmaneh («?La Fontaine au Grenadier?»), mais aussi Bordeaux, Alep ou Bhamdoum el-Mhatta…?!

L’originalité de l’ouvrage réside dans cette alliance subtile et bienvenue entre les grands faits de l’Histoire, tels la déclaration Balfour ou les célèbres discours-fleuves de Nasser, et la foule de détails aussi anecdotiques qu’inédits ou du moins peu connus, qui éclairent les événements?; ce qui a pour vertu de rendre le récit attachant, érudit, truculent et intimiste.

Connaissiez-vous par exemple le tonitruant et interminable fou rire du Raïs qui suivit l’annonce de la nationalisation immédiate du Canal de Suez, sur les ondes de la Voix des Arabes, cette radio qui devint la Mecque du monde arabe?? Saviez-vous que l’imam Ouzaï, savant religieux du VIIIe siècle, «?professait inlassablement l’amitié islamo-chrétienne?»?? Et c’est une foule de personnages et de courants d’idées politiques qui défilent dans ces pages foisonnantes et limpides, finement documentées. De May Ziadé à Anbar Salam. De l’«Évêque rouge?» au Che Guevara. De Farès Chidiac aux Frères musulmans. D’une page à la suivante, on feuillète l’Histoire en passant de la Rue Clemenceau à Béchir II. 

Ceux qui appartiennent comme moi à la génération de l’auteur seront plus particulièrement sensibles à tel ou tel autre clin d’œil. Celui de 1958 par exemple?: «?Cet été de guerre est pourtant le plus bel été qu’il m’ait été donné de vivre au Liban?; celui qui me laisse les souvenirs d’enfance les plus enchantés.?» Les lecteurs seront charmés par ce constant va-et-vient entre la grande Histoire et la petite, entre les grandes questions vitales du Proche-Orient, ses conflits, ses communautés, son devenir et le quotidien de ses citoyens, tel cet épisode si cocasse, ce miracle de la clé qui ouvre la serrure d’une porte qui ne lui appartient pas, Téta ayant fait une prière à la Sainte Vierge.


 
BIBLIOGRAPHIE 
Les Abricots de Baalbeck de René Otayek, Noir Blanc et Cætera, 2018, 281 p.
 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166