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L'enfant d'un bidonville français
Quand Mehdi Charef raconte avec une simplicité désarmante son arrivée dans l'Hexagone au début des années 60...

Par William Irigoyen
2019 - 04

Lorsqu'il obtient, en 1986, le César de la meilleure première œuvre pour son film Le Thé au harem d'Archimède, Mehdi Charef monte sur scène chercher sa statuette comme tout lauréat. Visiblement troublé par tant d'honneurs, il cherche la formule juste. Mais l'entreprise s'avère plus difficile que prévu. Alors, l'homme d'images raconte celles qui défilent à ce moment-là dans sa tête : « Je vois un bateau, la gare d'Austerlitz, un bidonville. » Pour de nombreux spectateurs ce soir-là, les propos sont quelque peu énigmatiques.

Trente-trois ans plus tard, tout s'explique grâce à un livre dans lequel Mehdi Charef se raconte. Il évoque celui qu'il était lorsque, en 1962, avec sa mère, ses frères et sœurs, il part rejoindre un père terrassier à Nanterre, en région parisienne. Pas facile quand on arrive de Maghnia, petite commune algérienne située à quelques encablures de Tlemcen, qui plus est en cette année où se joue la fin de la guerre entre la France et sa colonie rebelle. Pas facile non plus quand on n'a derrière soi qu'une année d'école de l'autre côté de la Méditerranée.

Mais le petit s'accroche. D'abord, quand il découvre que sa nouvelle maison est située dans un véritable bidonville : « La fumée de cheminées a été la première chose à nous atteindre, elle est dégueulée dense, noire, par des tuyaux piqués sur des toits penchés. » Il s'accroche ensuite à l'école des Pâquerettes, établissement de rattrapage pour élèves en difficulté, où le directeur nourrit quelques ambitions, fussent-elles minimes, pour ses élèves : « Avec le certificat d'études et le brevet ensuite, vous échapperez aux chantiers. Vous serez mieux en usine. »

À la différence de ses copains, Mehdi lit. Du moins quand il parvient à mettre la main sur « tout ce qui peut contenir des mots : les manuels scolaires, les illustrés, les magazines » ramassés à la décharge. Son énergie communicative, il la titre de petits bonheurs quotidiens : une promenade en famille à la gare d'Austerlitz pour se faire tirer le portrait au photomaton, ou quelques discussions avec Halima, prostituée et compagne d'infortune. Autant de dérivatifs à sa condition sociale : « Ce qui me gêne, ce n'est pas la charité que je demande, c'est la pitié que je reçois. »

Pour atténuer les effets d'une colère légitime liée à la pauvreté matérielle de sa famille et afin de le maintenir à flot, Monsieur Raffin, un des professeurs de Mehdi, offre au jeune homme un cahier à spirale afin qu'il y note tout ce qui le révolte. C'est dire que, dans cet environnement où les itinéraires individuels sembleraient déjà tracés, il y a des gens qui croient en lui et en son inextinguible soif d'apprendre : « Ce qui m'agace, c'est de buter au milieu de la phrase sur un mot ou un verbe dont je ne connais pas le sens, et ne pas posséder de dictionnaire. »

Il ne lui faut pas beaucoup de temps pour acquérir la grammaire de son nouvel environnement. Le petit Mehdi observe mais surtout absorbe tout. Il comprend vite que, au-delà de l'aspect sordide de là où il survit et où l'on parque les humains comme du bétail, le bidonville est aussi et surtout un lieu de retrouvailles entre gens souvent issus du même bled : « J'entends les premiers bêlements des moutons. Je redoute par-dessus tout d'assister et de participer à l'égorgement. Je vais passer la matinée au milieu de ce peuple en exil, qui à travers ce rituel retrouve son enfance. »

Rue des Pâquerettes, récit émouvant par sa douceur, publié par une toute nouvelle maison d'édition aux ambitions prometteuses, peut être lu comme un roman d'apprentissage en miroir : celui d'un enfant venu d'Algérie qui n'avait rien demandé à personne sinon de pouvoir revoir un père dont le souvenir finissait par s'estomper ; celui d'une France des années soixante, celle de la décolonisation dont ce pays a encore tant de mal à regarder en face les multiples implications.

 
BIBLIOGRAPHIE  
Rue des Pâquerettes de Mehdi Charef, Hors d'atteinte, 2019, 250 p.
 
 
 
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