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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Picasso, tel le Phénix


Par Jean-Claude Perrier
2019 - 04


En marge de ses thèmes d’inspiration habituels, l’académicien français Dominique Fernandez consacre un bref roman à un épisode aussi sombre que méconnu de la vie du maître espagnol.

Jusque-là, c’était lui, le génial, l’immense Pablo Picasso, né à Malaga en 1881, qui séduisait, choisissait les êtres, faisait et défaisait leurs vies, emportant tout le monde, femmes, enfants, amis, dans le tourbillon infini de sa création aussi polymorphe qu’éruptive et incommensurable. C’est lui aussi qui vampirisait, et rompait. Ne s’était-il pas choisi comme totem le Minotaure, certes beau, puissant et viril, mais qui n’est pas la créature la plus sympathique de la mythologie grecque ?
Et puis, en 1953, patatras ! Picasso se voit quitté par Françoise Gilot, sa compagne depuis dix ans et la mère de deux de ses enfants (Claude et Paloma), sèchement, à cause de leur différence d’âge. Elle avait quarante ans de moins que lui et, plutôt que de n’être qu’un des modèles du maître, écrasée par sa toute-puissance, et de jouer auprès de lui en coulisses le rôle de « maman ou d’infirmière », lui écrit-elle cruellement, souhaitait mener sa propre vie. Elle se remariera, deviendra à son tour peintre et écrivain. On peine à imaginer quel séisme ce fut pour Picasso, soixante-douze ans à l’époque. Il aurait pu, comme à son habitude, pour compenser, se réfugier dans sa création, produire encore plus et plus vite. Mais non, pas cette fois.
Il traverse une grave dépression, se réfugie chez des amis à Perpignan et passera des semaines sans toucher un pinceau, un crayon, une toile. Et puis, un jour, tout redémarre. L’artiste, tel le phénix renaissant de ses cendres (un autre animal mythologique qu’il a souvent représenté), retrouve la joie de créer, l’ivresse de vivre, qu’il conservera jusqu’à la fin de sa vie, vingt ans plus tard.

La cause de cette résurrection ? Une femme, bien sûr. Jeune et belle, évidemment. Elle s’appelle Jacqueline Roque et elle a 28 ans ! Ils ne se quitteront plus jusqu’à la mort de Picasso, en 1973. Elle sera même, depuis la danseuse russe Olga Khokhlova (épousée en 1918), la seule épouse légitime de Pablo, avec qui il se marie en 1961.
Tout cela vous a des allures de roman-photo, mais est strictement authentique. Y compris l’épisode « dépressif » de 1953, quoique peu connu. Un seul tableau, semble-t-il, sombre et énigmatique, en porte témoignage. Et c’est justement ces quelques semaines en marge dans la vie du Minotaure qui ont intéressé, chez Dominique Fernandez, le romancier. Cette fois, plus d’Italie, de Naples et de Renaissance, plus de Russie même, mais Perpignan dans les années 50, un microcosme tout dévoué au sein duquel un vieux Faune vient panser ses plaies, se faire chouchouter. Et comme, même dans la vraie vie, des miracles sont possibles, il y a là une certaine Jacqueline. Et la formidable mécanique Picasso redémarre.

Pour nous plonger au cœur de cette histoire, Dominique Fernandez a choisi de la faire raconter à la première personne, de l’intérieur, par Aimée, l’amie qui, avec Paul, son mari, accueille chez elle ce Picasso qu’elle connaît à peine. Cela donne au récit toute sa vivacité, non sans une pointe de mélancolie qui ajoute à son charme. Les années 50, pour Picasso, sont aussi marquées par de nombreux deuils. Raison de plus pour goûter pleinement à sa propre vie.

 
BIBLIOGRAPHIE   
Le Peintre abandonné de Dominique Fernandez, Grasset, 2019, 250 p.
 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166