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Roman
Michalik, toujours plus loin


Par Edgar Davidian
2019 - 12
Avec sa barbe de quelques jours châtain clair et sa bouille sympathique de jeune premier, à trente-neuf ans, Alexis Michalik, artiste franco-britannique polymorphe est parfaitement à l’avant-scène de la culture en France. Tout ce qu’il touche se transforme en succès et en or. Irina Brook le détecte en 2001 et en fait son Roméo pour la célébrissime pièce de Shakespeare pour les amants de Vérone. C’est dire déjà ses attributs et atouts de charme et de séduction. Sans crier gare, il se tourne vers la mise en scène, tout en assumant l’écriture de pièces de théâtre. Et là aussi coup de poker réussi car Avignon et le Studio des Champs-Elysées l’accueillent à bras ouverts et lui réservent des triomphes. Edmond, relatant la difficile création de la pièce de Cyrano de Bergerac, portée sur grand écran, croule sous une pluie de récompenses et est auréolé des prix les plus prestigieux de l’Hexagone… Aujourd’hui Alexis Michalik est surnommé l’homme aux cinq Molières…

Et voilà que l’aventure fouine une nouvelle zone. Car paraît en vitrine des librairies le premier roman d’Alexis Michalik, intitulé Loin et figure déjà parmi la sélection des listes des prix les plus prestigieux de la rentrée.

D’abord on s’arrête sur son écriture qui interpelle. Un ton habité par la force et l’énergie de vivre, qui happe les mots, jongle avec les formules et sabre les poncifs ou s’y immerge sans complexe dans un état de chaos bienheureux et inventif…. Une écriture claire, nerveuse, chaleureuse, débordant de culture pour un pavé qui tente de répondre au sens des origines. À la quête de soi ! Comment se situer dans cet immense arbre généalogique aux multiples embranchements qui nous précède tous ?

À travers un périple tourbillonnant et tumultueux allant de l’ex-Allemagne de l’Est à la Turquie d’Atatürk, de la Géorgie de Staline à l’Autriche nazie, de l’Australie en Inde en passant par Nouméa en Nouvelle-Calédonie, la quête a des allures dingues sans jamais trouver de réponses… Sauf celle qu’il faut oser vivre et dangereusement ! Et vogue la galère comme dans un étourdissant road movie à la Kerouac, véritable narration qui a tout d’une turbulence aux péripéties de cape et d’épée mais sans la cape ni l’épée… C’est Théophile Gautier (bonjour Capitaine Fracasse) ou Alexandre Dumas (mais ni Balzac ni Hugo !) dans cette chevauchée fantasque et fantastique entre paysages divers et une multitude de personnages de tous poils, toutes couleurs et tous les acabits confondus qu’on croise plutôt qu’on ne les approfondit…

Tout commence avec ces mots de Charles, un père, à sa famille, griffonnés au dos d’une carte postale : « Je pense à vous, je vous aime. » Effet dévastateur d’une blitzkrieg pour ce brusque abandon, l’énigme d’une vie, l’inexplicable d’un comportement, le mystérieux grand départ et l’incompréhensible disparition. 

Vingt ans plus tard, son fils Antoine Lefèvre se lance, avec sa sœur Anna, délurée et à l’adolescence prolongée et son meilleur ami Laurent, un apprenti journaliste, sur les traces d’un pater familias qui s’est littéralement volatilisé… Loin de lui l’idée, à ce jeune homme taraudé par le secret et l’impatiente volonté de comprendre, le temps que ce projet va prendre ! Et encore moins les montagnes, les vallées, les pays et les frontières qu’il faut traverser pour tenter de retrouver ce géniteur fantomatique et extravagant… Et démarre une aventure abracadabrante mais d’une fraîcheur décapante. Aventure qui roule à tombeau ouvert pour des tribulations aussi bien cocasses que touchantes. Tout aussi imprévisible et chaotique, grave et ludique que la vie, même quand l’être a voulu systématiquement tout planifier. Nul n’est à l’abri des (dé)tours du destin… 

Dans cet esprit de conte ni bleu ni noir, mais hirsute et parfaitement rocambolesque jusqu’à l’ahurissement, l’auteur de la pièce Le Cercle des illusionnistes ne va pas par quatre chemins pour son irruption en littérature romanesque. Aventures picaresques et (im)probables, sans un seul instant d’ennui tant le rythme est effréné et trépident pour tenter d’expliquer le sens d’un parcours humain et les relations avec les autres. Riche en informations historiques d’un XXe siècle absolument déstabilisant car inondé de renversants chamboulements, par-delà une pléthore de rebondissements, la leçon donnée, à travers rire, réflexion et découvertes, en vaut la chandelle. Pour les réconciliations avec soi, les autres et la véritable connaissance de ce sang qui coule dans les veines de chacun… Avec Alexis Michalik la routine, le ronron et le convenu ne sont pas de mise ! 


 
 
Loin d’Alexis Michalik, Albin Michel, 2019, 645 p.

 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166