Avec ses cheveux blancs en auréole et en bataille comme un professeur Nimbus et son sourire débonnaire, Erik Orsenna, plume prestigieuse siégeant à l’Académie française, est l’un des écrivains français les plus appréciés. Et dont le style, lui le linguiste savant, à la fois rigoureux et libre, reste non seulement attachant mais remarquable.

À 72 ans, à la tête d’une œuvre d’une quarantaine d’opus entre romans et essais, l’auteur qui a obtenu le Prix Goncourt en 1988, pour L’Exposition coloniale et qui s’est impliqué dans la vie politique française de François Hollande à Emmanuel Macron, publie aujourd’hui Briser en nous la mer gelée. (Gallimard- 450 pages). 

Un roman fidèle à sa ligne de conduite, à savoir les indomptables intermittences du cœur. Sans oublier son engagement écologique tout en pratiquant sa mission d’enseigner avec son art suprême d’entretenir, de piquer la curiosité et de faire rêver. Avec cet écran du passé qui porte toujours ombrage au présent… Autant de préoccupations constantes dans sa vie et ses combats, thèmes qui alimentent généreusement la plume féconde de l’écrivain. Comme une antienne qui turlupine depuis longtemps son cœur et déteint sur son œuvre romanesque, toujours en attente, aussi et surtout, de transcrire les mystères du cœur et tenter d’atteindre une certaine transparence, une explication à ce qui régit les destins.

Amour fou donc pour ce dernier roman qui ne déroge guère à l’inspiration première d’Erik Orsenna, lui ce grand rêveur qui a dit un jour « écrire et rêver c’est pareil… » Tout commence par cette longue lettre envoyée à Madame la Juge, vice-présidente des affaires familiales. Pour un divorce entre Suzanne et Gabriel.

Pour tenter de réparer ce qui est perdu, ce dernier part sur les traces d’un explorateur dans l’espoir d’atteindre le détroit de Béring. Pourtant, voilà une histoire qui partait d’un bon pied : le coup de foudre de Suzanne et Gabriel. Pour un mariage immédiat, sans hésitation aucune, avec le credo que les passions communes de la vie qui les lient sont plus fortes que tout ce qui peut les séparer… Mais c’était sans compter sur les troublants fantômes du passé… L’amour, affaire d’une vie, revisité par un écrivain qui a toujours voulu avoir plusieurs vies et qui ne manque ni d’humour ni de curiosité et encore moins de piquant.

L’amour aussi au troisième âge c’est quelque chose ! Bien entendu, on ne l’aborde guère avec la même veine, candeur et insouciance que dans la prime jeunesse. 

C’est un peu tout cela que l’auteur du Portrait d’un homme heureux tente de restituer aux lecteurs à travers ce livre jalonné de nombreuses digressions.

Avec Erik Orsenna on est toujours gagnant : à la place d’une leçon d’amour voilà une leçon de style, à ne pas manquer (et à déguster). Pour une langue française du meilleur aloi !

 

 

 

Briser en nous la mer gelée d’Erik Orsenna, Gallimard, 2020, 450 p.