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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman



Par Fifi Abou Dib
2020 - 04
On a beaucoup reproché à Leila Slimani le premier épisode de son journal de confinement écrit depuis sa grande maison de campagne en Normandie. Un certain nombre de lecteurs du quotidien Le Monde ont vu dans sa description de «?l’aube se levant sur les collines?» une véritable provocation, une «?indifférence de classe?», un manque de considération pour ceux qui étouffent entre les quatre murs étroits de leurs studios parisiens, ou ceux qui sont exposés à la contamination du fait de leur travail, livreurs, caissières et autres. Cependant, l’écrivain d’origine marocaine, prix Goncourt 2016 pour son deuxième roman, Chanson douce, représentante personnelle d’Emmanuel Macron pour la francophonie depuis 2017, livre avec le premier volet de sa trilogie Le Pays des autres un tout autre aspect du confinement.

Cette saga qui reprend des épisodes réels de l’histoire familiale de l’auteure tourne, dans son premier tome, autour de la solitude d’une Alsacienne, personnage inspiré de sa propre grand-mère, éloignée des siens et jetée dans une ferme du Maroc entourée d’une terre ingrate à plusieurs lieues de la ville. Cette femme, Mathilde, a épousé par amour Amine, un soldat marocain de l’armée coloniale qui a participé à la libération de son village. Nous sommes en 1944. Le couple quitte la France et s’installe à Meknès où Amine ambitionne de transformer un terrain acheté par son père en paradis verdoyant, en utilisant les techniques modernes de l’agriculture qu’il approche non seulement en néophyte, mais aussi dans l’esprit du colon imprégné de mépris pour les méthodes archaïques et d’exaspération pour l’ignorance des paysans.

Amine est un personnage pétri de contradictions, amoureux de son épouse étrangère, blonde et plus grande que lui, mais qui l’expose à la méfiance et aux médisances d’une société marocaine impatiente de se débarrasser de la domination française. On le trouve tantôt indulgent et tendre, veillant à adoucir l’exil de sa femme, et tantôt se comportant avec violence, exigeant de la voir se plier sans se plaindre, comme le fait sa propre mère, aux difficultés de leur condition. À l’épreuve de l’immersion en terre marocaine, leur couple se révèle incongru et chacun souffre de son côté de l’incompréhension de l’autre. Ils auront deux enfants, une fille et un garçon. Aïsha deviendra la grand-mère de l’auteure. Dans ce premier épisode, l’enfant aux cheveux blonds en tignasse, aux traits étranges, placée en pensionnat dans une école chrétienne, s’éprend d’une religion qui n’est ni celle de son père, ni celle de son milieu naturel. Entre difficultés financières, isolement et écartèlement culturel et ethnique, elle trouve sa voie et se révèle excellente élève à la surprise de ceux – dont ses parents – qui ne voient dans son regard effarouché que le signe d’une intelligence limitée. Parallèlement, Mathilde qui a su se tirer presque seule d’un épisode de paludisme est sollicitée par les femmes des environs pour divers petits ou grands services «?médicaux?». Celles-ci préfèrent ses connaissances rudimentaires à la compétence d’un médecin, prêtes à se laisser mourir plutôt que se faire soigner par un homme. Mathilde consulte, se renseigne, devient de plus en plus experte. D’un autre côté, Amine commence à se tirer d’affaire grâce à son association avec un gynécologue juif. Mais l’histoire a ses propres desseins et dehors, la révolution gronde. Elle va balayer le travail et les espoirs des uns et des autres.

La solitude, la séparation, l’inadaptation font partie des grands thèmes de ce roman qui est aussi une expérience de la lenteur, bienvenue en ces temps où l’on ne compte plus son temps.


 
 
 
Le Pays des autres de Leila Slimani, Gallimard, 2020, 368 p.

 
 
 
D.R.
L’histoire a ses propres desseins et dehors, la révolution gronde, elle va balayer le travail et les espoirs des uns et des autres.
 
2020-04 / NUMÉRO 166