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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Poésie
Déploie tes ailes, Liberté


Par Ritta Baddoura
2015 - 02
Clamant ou murmurant la circulation de cette sève vitale qu’est la liberté, deux nouvelles anthologies rassemblent, au-delà des frontières du temps et des géographies, les voix de poètes insoumis. Célébrant la nécessité de se rebeller contre toute forme d’aliénation, elles sont une ode au droit absolu d’exister la pensée libre et les ailes déployées.

Engagement et ouverture aux poésies du monde sont parmi les fondements des éditions Bruno Doucey. Vive la Liberté ! et L’insurrection poétique, les deux dernières anthologies (réunissant respectivement quarante et cent dix poètes) qu’elles publient, font honneur à ce positionnement dans une résonance poétique et intellectuelle avec les humeurs de l’histoire et les climats extrêmes de l’actualité. La liberté et ce qu’elle porte d’exigence et d’appel à l’éveil de la conscience, à l’insurrection et au courage éclosent au fil des pages. Ce que la liberté dégage de beauté et de partage se déploie de poème en poème aussi.

Angine de poitrine « Si la moitié de mon cœur est ici, docteur,/ L’autre moitié est en Chine,/ Dans l’armée qui descend vers le Fleuve Jaune./ Et puis tous les matins, docteur,/ Mon cœur est fusillé en Grèce./ Et puis, quand ici les prisonniers tombent dans le sommeil/ quand le calme revient dans l’infirmerie,/ Mon cœur s’en va, docteur,/ chaque nuit,/ il s’en va dans une vieille/ maison en bois à Tchamlidja./ Et puis voilà dix ans docteur,/ que je n’ai rien dans les mains à offrir à mon pauvre peuple,/ rien qu’une pomme,/ une pomme rouge : mon cœur./ Voilà pourquoi, docteur,/ et non à cause de l’artériosclérose, de la nicotine,/ de la prison,/ j’ai cette angine de poitrine./ Je regarde la nuit à travers les barreaux/ et malgré tous ces murs qui pèsent sur ma poitrine,/ Mon cœur bat avec l’étoile la plus lointaine. » Nâzim Hikmet

Vive la Liberté ! et L’insurrection poétique traversent les langues, les pays et les époques (la place prépondérante étant accordée à la littérature contemporaine) pour livrer un élan essentiel, celui de ne jamais renoncer à penser librement ou à questionner le monde et au besoin le recréer. Avec une alliée intransigeante et incorruptible nommée poésie, briser les barrages et les chaînes est chose possible. « Le potentiel d’insurrection (de la poésie) » écrit dans sa préface de l’Insurrection Bruno Doucey, « qui la distinguera toujours de l’embrigadement idéologique : elle permet de se penser soi-même comme un autre, elle est l’exact contraire de la barbarie ».

Loin des codes habituels des anthologies ou des manuels pédagogiques, Vive la Liberté ! et L’insurrection poétique (dédié aux victimes de la tuerie de Charlie-Hebdo) parlent tant aux adolescents qu’aux adultes. Ils entrainent le lecteur de thème en thème (« Barreaux, chaînes, cordes et clous », « Tout mon être aspire au soleil », « Refus d’un monde étriqué », « Combattre les fous de Dieu », « Sexisme, injustice ! », « Quand le dernier homme rouge aura péri ») et s’ouvrent par des citations ou des textes fondateurs. Mettant en dialogue et en écho les écrits et les combats menés aux quatre coins du globe, ils proposent de brèves notices explicatives, biographiques et bibliographiques, qui présentent l’auteur et éclairent le contexte dans lequel il a écrit son poème. 

La révolution « J’ai tiré trois cartes/ mais une seule était la mort/ le squelette blasphémant de la cendre plein les orbites/ pour la liberté mes mains sont grenades/ pépins translucides et sève sanglante/ cigarette aux dents face au peloton d’exécution/ (…) un éléphant a donné du poids à mes poèmes/ ses défenses réduisent les geôles en poussière/ agréable était la population dans les rues/ manifestation contre l’idole d’état/ pas de soutien aux chefs ni/ aux bureaucrates qui prônent des réunions/ (…) lis ce discours à haute voix, frère,/ deux chars à bœufs remplis de pain et de vin/ conquis pour les pauvres avec l’aube/ pour la vérité vraie mes main sont grenades (…) » Breyten Breytenbach

Porter l’étendard de la poésie pour défendre un idéal de fraternité, d’égalité, de paix, d’amour et de dignité, semble plus que jamais nécessaire aujourd’hui, notamment pour faire face à la haine, l’ignorance et l’oppression qui se servent aussi de discours et de mots pour faire ployer la liberté. Qu’il s’agisse de rebellions intimes ou collectives, les poètes de ces deux anthologies ne sont jamais à court d’inspiration pour dire « Non ! » face aux temps obscurs et injustes. Leurs mots se réapproprient la vie et lui redonnent sens dans la générosité et la bienveillance. Quelle transmission serait plus noble, solidaire et immense ?


 
 
© Murielle Szac
 
BIBLIOGRAPHIE
Vive la Liberté ! de anthologie établie et présentée par Bruno Douce, éditions Bruno Doucey, 2014, 128 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166