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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Poésie
Secrètement lentement
Plus le poète écrit le temps du détour, plus il se situe au cœur du mystère et parvient, à l’encontre de la difficulté d’être soi, à apprivoiser son propre cœur. 

Par Ritta Baddoura
2015 - 06
Le mystère d’être vivant, d’aimer, de devenir se fondent dans la faculté de Christophe Langlois d’effleurer le mystère de l’écriture, y cheminer en lenteur, de sorte que passé, présent et lendemain s’unissent, puisque traversés d’ores et déjà par la sève du souvenir. Ses poèmes, leurs titres ainsi que les titres des trois parties qui composent son recueil : « Dons du froid ; Accompagnement lent ; Maison des heures » disent que le chemin emprunté est intime, porteur de grâces et de douleurs. Le poète le sait et s’y maintient sciemment – il n’est pas pressé de savoir, d’avancer – d’où ce nœud particulier de l’impression, de l’intellect et du spirituel dans sa poésie.

SECRET ESPOIR « Et lire aussitôt te rendrait la vue/ le désir est extrême de cette totalité de tilleuls/ et des amis, le soir, qui taisent leur amour/ pour le serment plus pur de n’être pas prouvé/ bien des pages vont naitre encore/ des pauvres sourires d’hommes/ d’indéfendables désirs/ et bien des livres enfanter un visage/ car notre faim demeure/ et j’attends encore le début ».

Le recueil emprunte son titre à l’un des poèmes : L’amour des longs détours, et exprime, toujours dans la vague sacrée qui porte l’ouvrage, une particularité essentielle de l’écriture de Langlois. Cycles et arabesques, le temps serpente en circonvolutions closes et suit les lacets infinis de l’espace : Langlois aime que le chemin soit long, indirect, déroutant. Devenir une image, une sensation, un souvenir, sont parmi les nombreux détours qu’emprunte le poète pour aller vers soi, sans renier ni déchirures ni ambivalence envers l’amour.

TÖRLESS « Autrefois, ma vie, mon amour/ j’ai maigri de cette force qui ne trouvait pas issue en toi/ dans la forêt des visages épris/ ils n’avaient le temps d’aucun détour/ et je n’étais que détours/ je te reste aujourd’hui cet infini qui dort/ dans un dortoir de dix/ la nuit, l’air entre par le carreau cassé ».

L’amour des longs détours rassemble de nombreux poèmes dont la diversité, quoique mineure, des tonalités et des thématiques dans les première et deuxième parties, érafle légèrement la limpidité du climat poétique propre à Langlois. La troisième partie, la plus dense, sublime ce climat : mystère et passion crépitent au foyer des mots. Le style est plus dépouillé et direct, le détour devient soudain le chemin le plus direct et le plus court. Prolixe – relativement – au sujet de l’amitié, immensément furtif et secret au sujet de l’amour, Langlois écrit parmi ses plus beaux poèmes sur l’enfance : celle vécue et celle renouvelée par la paternité. Tous ses poèmes d’une certaine manière traversent dans la beauté et la ferveur qui leur est propre, l’épreuve de de feu qu’est l’enfance. 

JEUNE MÈRE « Souvent tu me dévêtais/ souvent j’étais vivant/ il faut être nu pour chanter ce chant/ l’eau que tu versais sur moi/ retombait à grand bruit dans l’océan/ épousait mon ventre grandissait mon sang/ et me séchant contre toi tu fredonnais/ quelque chose d’une voix légère/ que je ne connaissais pas et qui était toi/ je ne bougeais plus je t’écoutais/ enveloppé dans la serviette humide/ une de tes mèches contre ma joue/ il faut être nu pour chanter ce chant/ souvent tu me dévêtais/ souvent j’étais vivant ».

L’évocation et l’immense solitude habitent les pages de L’amour des longs détours. Parfois la retenue des touches par lesquelles Langlois compose ses tableaux rencontre l’effervescence et atteint une sagesse et une foi vivantes dans l’âme des choses. Une pudeur blanche et renouvelée, telle une pluie venant rafraichir le jardin intérieur, imprègne ce que l’écriture révèle. Comme si la poésie de Langlois recherchait, à mesure qu’elle trouvait les mots, une forme d’effacement, de retour à l’origine.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
L’amour des longs détours de Christophe Langlois, Gallimard, 2014, 120 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166