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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Poésie



Par Antoine Boulad
2007 - 12


Dans les pages d’Un homme à la mer, à l’embouchure du Saint-Laurent, il y a le Gulf Stream, «?noir et pourpre?», et «?l’océan beau comme la mort?». Dans les poèmes d’Emmanuel Merle, le fleuve est travaillé par des «?ombres avenues?», l’océan miné par un «?labyrinthe noir?», un fleuve comme un ciel à l’envers dont les arbres s’engouffrent comme des herbes marines dans la «?forêt mentale de sa mémoire?».

Sous les poèmes, court comme un «?amour souterrain?», le «?chant des baleines (qui) a l’horizon pour portée?», ces baleines dont les fanons sont des orgues?; ces baleines dont le jet de vapeur est une «?voie lactée en plein jour?»?; ces baleines qui sont les «?boussoles de l’âme?» pour un homme qui a perdu son père, lui dont l’absence de sens est un repère?!

Perdre un père devant lequel on s’est toujours tu, perdre un père dont on n’a aucun souvenir, perdre le «?silence de son regard?», au bord du «?vide de la mémoire?», perdre un père qui était déjà mort, parti sans laisser de traces, sans rien dire ni rien laisser en héritage. Dans l’âme se réfugient deux ou trois mots dont on ne veut plus. Ce qui vous fait mal ne vous appartient plus.

Son père parti «?dans la contrée finale?», l’homme à la mer «?se noie dans l’eau souveraine?». Parmi les hommes, il y a des personnes qui regardent le monde, «?les montagnes disparues?», «?les arbres immobiles?», «?le chien noir qui traverse la route?». Nous les appelons des poètes parce qu’ils ont affûté les lames des mots qu’ils utilisent pour le nommer, ce monde «?parfait?» et sans «?direction?», ce monde dans «?l’harmonie du désordre?». Ils s’épuisent à interroger le ciel et la terre à la recherche de sens, pour prendre leur place dans le désordre du monde. Ils traversent la vie, animés par des questions essentielles qui restent en suspens au-dessus de leur tête comme des épées.

L’écriture poétique d’Emmanuel Merle tient de la «?violence immobile?» du ciel de son pays. Elle mêle des mots familiers du langage de tous les jours à une tragédie familiale où le dernier poème débouche sur le fils qui grandit en l’absence du père, ne lui demandant rien, perpétuant – tel père, tel fils – cette vie «?à claire-voie sur la mort?»?! La poésie est un port d’attache.

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Un homme à la mer de Emmanuel Merle, Gallimard, 2007, 98 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166