Par Ritta Baddoura
2018 - 03
Ouvrir ouvre l’espace de
la sensibilité sur l’univers intérieur guillevicien et ses goûts pour l’autre,
l’amitié et l’art. Il compte une centaine de textes, vers mais surtout prose,
écrits entre 1929 et 1939. La fidélité du titre à l’infinitif, tels ses
prédécesseurs Relier (2007) et Accorder (2013), tient au fait que « cette forme
exprime l’action et que la relation ternaire qui s’installe entre (Relier,
Accorder et Ouvrir) traduit une part de la pratique guillevicienne », précise
Lucie Albertini-Guillevic qui a établi et préfacé l’ouvrage.
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« Voilà mon premier
Rimbaud. Celui qui ne m’a jamais quitté, m’a aidé à me sentir vivre, Ã
renforcer mes possibilités dans l’usage de l’écriture comme moyen d’accroître
ma relation avec la vie réelle (…). Tout un nouvel espace poétique s’est ouvert
là avec des voies à explorer (…). Avec aussi la certitude que c’est en
travaillant d’abord sur soi que l’on parviendra à donner aux mots une plus
grande emprise sur le réel. »
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Ouvrir rassemble sept parties
aux thèmes explicites : I- Avec les poètes (textes à propos de dix-huit
écrivains) ; II- Avec Elsa Triolet (deux cycles de poèmes-chansons à partir du
protagoniste de deux romans de Triolet) ; III- Nouveaux accords et IV- Accords
en cours (publications à tirage limité en collaboration avec des peintres) ; V-
Le plomb (lettre à Jean Hofer imprimeur-typographe) : VI- Avec les peintres
(textes à propos de trente-cinq peintres) ; VII- Ultime lettre à un jeune poète
(à Cédric Demangeot). L. Albertini-Guillevic place ce recueil sous le signe du
« Combat pour l’espace ouvert, mené au jour le jour par celui qui engage
totalement sa vie pour qu’advienne l’œuvre qui le tenaille sans réserve et qui
n’aboutira que lorsque s’ouvriront en lui et l’espace du dehors et l’espace du
dedans. Ce combat que Guillevic appréhende dans le travail des ami(e)s dont il
parle ici. »
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Ces textes le plus
souvent suscités par des « opportunités ou sollicitations », ou écrits parfois
à l’initiative de Guillevic, témoignent de ses rencontres et ses partages,
ainsi que de l’éclectisme de ses affinités amicales et artistiques. Le poète
n’adopte jamais une approche descriptive, intellectuelle ou critique, mais
tente de dire au plus près sa rencontre avec l’écrivain, l’artiste et/ou son œuvre
dans l’émotion et la fulgurance intérieure.
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« Adonis- (…) Où
m’emportes-tu ?/ Car tu me portes,/ Ne m’entraînes pas./ Tu ouvres/ Un espace
nouveau./ Quand moi je parle de l’espace,/ C’est je crois/ Celui de tout le
monde./ L’espace banal/ Comme on dirait un four banal./ Ce n’est pas/ Ton
espace à toi./ (…) Cela se fait dans la joie./ Comme si la joie/ Était le
moteur du monde (…) ».
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Celui qui affirme « J’ai
l’œil visuel » lors d’un entretien, nourrit dès sa prime jeunesse et tout au
long de sa vie, une prédilection profonde pour la peinture, signifiante dans
son évolution personnelle. S’en sont suivies maintes collaborations avec des
peintres aux univers très variés, notamment dans des livres d’artiste, des
catalogues d’exposition et des éditions rares quasi-inaccessibles au grand
public. Monique Chefdor, auteure de la postface de l’ouvrage, exprime
pertinemment que là où l’écrivain, captif des contraintes du langage, pourrait
envier « l’apparence d’instantanéité (…) des arts visuels (…), Guillevic parvient
à l’immédiateté du peintre par l’écriture ».
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« Bonnard- Le jaune ici
flamboie./ Il vient dans notre sang/ Aiguiser le désir,/ Ouvrir grand les
fenêtres, arracher/ Le décor de la caverne./ Il brûle sur la nappe/ En flammes
prêtes à la braise./ Il aspire la table/ Et veut bien/ Que l’on rie. »
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Ouvrir donne à lire
nombre de choses sur Guillevic poète, ami, passionné d’art et bon vivant, lui
qui affirme par exemple : « Oui, j’aime beaucoup la chanson. J’ai toujours aimé
chantonner.» Dans la diversité des textes publiés, le minimalisme,
caractéristique du poète de Terraqué, n’est pas toujours roi et l’intensité
littéraire reste inégale. Quand certains écrits sont généralistes, d’autres
plus personnels se révèlent percutants. Néanmoins, la vérité de la rencontre
humaine ou artistique et la sincérité de sa saisie tissent le fil rouge de
l’ouvrage.
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« Cher jeune poète,/ (…)
Un conseil : tournez-(vous) davantage vers le quotidien, le tous les jours,
l’infini dit par l’anonyme. Ayez espoir : la ressource est là . Il faut se
mettre à l’unisson. Et le quotidien est infini et il y a l’espoir d’en faire un
arc de triomphe. Il faut vivre pleinement pour pouvoir dire et savoir saisir sa
façon de dire./ Bien cordialement./ Guillevic »
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Dans son « besoin des
contraires, (…) des contrastes », Guillevic quête une saisie du réel où la
poésie serait une « mise en mots (de la) vie physiologique » voire de « presque
plus que » cette vie-là . Une manière davantage foisonnante et vive de « créer »
et « d’habiter » le silence puis de « (bâtir) son œuvre selon son cœur ».
Ouvrir dessine en miroirs de mots et de couleurs, un portrait émouvant et
chaleureux de Guillevic dont les fondamentaux demeurent : authenticité,
simplicité, joie et espoir.
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« Les chansons d’Antonin Blond- Le soleil,
aujourd’hui,/ Je me le suis donné./ J’en ai mis plein mes poches/ Et dans
d’autres endroits/ Où mes mains ne vont pas./ Je peux escalader/ Ce qui me
séparait./ Je peux montrer aux gens/ Comment c’est, la lumière. »