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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
Les guerres civiles du Liban revisitées


Par Melhem CHAOUL
2008 - 06
Cette publication du Centre d’études libanaises (The Center for Lebanese Studies) basé à Londres se trouve être dans la continuité du travail immense initié par Nadim Schéhadé, directeur du centre au cours des 80 et 90. Ce travail, auquel ont participé les meilleurs chercheurs libanais et étrangers, a porté sur l’analyse des guerres du Liban et de la période post-conflictuelle, dans leurs aspects historique, économique, politique, social, culturel et religieux. Les textes publiés sont les actes d’un colloque organisé par le centre au Liban du 6 au 8 juin 2006 sur le thème, « Breaking the Cycle. Civil wars in Lebanon ». Ils se répartissent en trois parties : le contexte historique, mémoires de guerre et pardon et stratégies de réforme : un agenda pour l’avenir.

La première et la troisième partie traitent de questions et de thèmes devenus « classiques » dans l’abord des conflits violents au Liban, de leurs causes et des différents schèmes explicatifs et grilles de lecture. Le poids de l’histoire provoque les questions d’Ahmad Beydoun et son analyse dans un premier chapitre intitulé « Les mouvements du passé et les blocages du présent : dans quelle mesure le XIXe siècle a-t-il produit une société de guerre civile ? ». La thèse de l’auteur est que les compromis trouvés suite aux conflits violents entre les groupes communautaires libanais par des acteurs internes et externes sont depuis le dix-neuvième siècle incapables de régénérer et de réguler les changements survenus dans les rapports sociaux. Ainsi, les formules de pacification et d’instauration de rapports apaisés entre les groupes sociaux sont rapidement « débordées » par le fait qu’elles sont incapables de satisfaire la nouvelle demande sociale. Les institutions se bloquent, les tensions s’exacerbent, le conflit violent éclate dans ses dimensions internes et internationales. De nouveaux accords ou « arrangements » se forment, avec les mêmes tares, le même cycle de pesanteur de la part d’institutions anciennes et rigides et les mêmes potentialités de renouer avec les conflits violents.

Dans la même veine, Youssef Choueiri avance une grille d’interprétation valable, selon lui, pour comprendre les conflits du Liban du XIXe siècle (1861) au XXe (1989). Elle comprend quatre indicateurs : l’absence d’une formule adéquate, l’émergence de nouvelles figures communautaires en demande de reconnaissance politique, l’imposition de nouvelles formules par des parties étrangères ou par leur médiation, l’inexistence d’arrangements ou d’accords réalisés par les acteurs libanais eux-mêmes sans médiation. Toutefois, la faiblesse de cette grille réside dans le fait qu’elle place au même niveau « une province ottomane » du XIXe siècle et un État indépendant et souverain du XXe siècle, supposé protégé par le droit international.

Mohammad Mattar se demande de son côté, sous forme de polémique tacite avec les thèses classiques de la gauche libanaise, « s’il faut blâmer le confessionnalisme » chaque fois qu’il y a un conflit violent au Liban. Sa réponse est que cette conception occulte totalement les clivages politiques qui à l’époque (1975-1990) étaient multiples et imbriqués les uns dans les autres : le conflit israélo-arabe, le règlement de la question palestinienne, le conflit Est-Ouest (la guerre froide), les tensions entre les pays arabes, etc. Tout cela formait un contexte mettant le Liban dans un environnement guerrier, violent et manipulateur. Ce n’est pas donc le péché originel du confessionnalisme qui serait à l’origine des situations politiques inextricables du Liban.

Dans la troisième partie, les discutants tentent de fournir des recettes de réformes pour l’avenir. Les sujets traités sont la réforme politique (Michael Johnson), la réforme constitutionnelle (Nawaf Salam), la philosophie de la participation au Liban (Michael Kerr), le système électoral (Rudy Jaafar). Le sujet de l’éducation comme facteur de cohésion dans une société confessionnelle est traité par Maha Shuayb dans cette troisième partie, cependant il aurait été préférable de le déplacer vers la seconde partie qui, à notre sens, constitue l’apport le plus novateur de ce colloque.

« Mémoires de guerre et pardon » sont les thèmes de la seconde partie du livre dans laquelle Paméla Chrabieh, Alexandra Asseily et Sune Haugbolle repensent la guerre et la violence en termes de travail de mémoire, de psychologie individuelle et collective et de travail sur la reconnaissance et le pardon. Cette approche va à l’encontre de la pratique de l’oubli et de la tendance (une structure culturelle du Libanais ?) à effacer le passé. Cette approche dans laquelle on reconnaît l’impact de la psychologie (Mme Asseily est psychothérapeute) préconise le travail sur le discours, le récit sur soi et celui des autres, la reconnaissance et le pardon sans oubli, et, surtout, l’importance de cibler les jeunes de 25-35 ans pour empêcher la reconstitution chez les générations futures d’une mémoire biaisée et autocentrée. Cette approche des guerres du Liban mérite suivi et approfondissement.

 
 
Ce n’est pas le péché originel du confessionnalisme qui serait à l’origine des situations politiques inextricables du Liban
 
BIBLIOGRAPHIE
Breaking the Cycle. Civil wars in Lebanon de , ouvrage collectif édité par Youssef M. Choueiri, Stacey International, Londres, 323 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166