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Essai
Alexandre II, le tsar réformateur


Par Lamia el Saad
2008 - 06



Secrétaire perpétuel de l’Académie française et grande spécialiste de la Russie, Hélène Carrère d’Encausse nous fait découvrir ou approfondir, depuis plusieurs années, l’histoire complexe de cet empire incomparable. Outre l’effondrement de l’URSS et le réveil des nations soviétiques (L’Empire éclaté, La Gloire des nations et Le Grand frère), elle a également signé plusieurs biographies dont celles de Catherine II et de Nicolas II. Son dernier ouvrage est consacré à Alexandre II, arrière-petit-fils de Catherine II et grand-père de Nicolas II ; chaînon manquant et essentiel à la compréhension de l’histoire globale de la Russie.

Premier Romanov à assumer un héritage négatif au lendemain de la guerre de Crimée qui consacrait l’effondrement de la Russie – tant sur le plan international que sur le plan de ses infrastructures et de ses institutions –, il sut mettre en place le vaste programme de réformes dont la Russie avait cruellement besoin. La plus capitale de toutes fut l’abolition du servage qui avait déjà disparu en Europe et qui n’était plus adapté aux nouveaux besoins économiques d’un pays en mal d’industrialisation. Conçue comme un processus en trois temps, elle permettait aux paysans d’acheter – grâce à des prêts d’État – les terres collectives et de devenir propriétaires.

En dépit de ses insuffisances et des critiques qu’a suscitées son application, la réforme du statut paysan est assurément un des actes les plus courageux du règne d’Alexandre II et probablement de toute l’histoire russe. Alexandre II aura pu accomplir en très peu d’années la réforme qui avait hanté tous ses prédécesseurs et à laquelle aucun d’entre eux n’avait osé s’attaquer de crainte de soulever la noblesse et d’ébranler la monarchie. Par la suite, il s’engagea dans une refonte presque totale des structures administratives, judiciaires, universitaires et militaires russes ; et fit des années 1862-1865 un véritable « printemps politique ». Il supprima le Comité de censure et les châtiments corporels ; autorisa la liberté d’expression  et la liberté de la presse ; rendit l’université autonome ; instaura les procès contradictoires et publics ; proclama que la justice est indépendante et que la loi s’impose à tous y compris au souverain ; rendit public le budget de l’État par souci de transparence ; établit la séparation des pouvoirs ; modifia enfin la tradition bureaucratique en créant des assemblées ou zemstvos composées de représentants élus. Afin de mener à bien ces réformes, il s’informe sans cesse des meilleurs modèles européens pour les confronter et s’en inspirer. En novembre 1864, il se lança à la conquête de l’Asie centrale et élargit considérablement – en quelques années – les frontières de l’empire, au prix, il est vrai, de guerres sanglantes, comme celle du Caucase. En 1873, il signa l’entente des trois empereurs, une alliance entre la Russie, l’Autriche et l’Allemagne qui sera renouvelée par son fils Alexandre III en 1881. Par solidarité envers les frères slaves subissant la domination ottomane dans les Balkans, il déclara la guerre à l’Empire ottoman, et le 3 mars 1878, le traité de San Stefano consacra la victoire russe et toutes les ambitions nourries à Pétersbourg depuis deux siècles. Ce traité, modifié et revu à la baisse par la suite au Congrès de Berlin, abolissait un équilibre européen dont la Russie avait toujours souffert. L’Empire ottoman était brisé et l’influence de la Russie désormais incontestée ; elle y gagnait en outre le droit de passage par les détroits en temps de paix comme en temps de guerre.
Vers le milieu des années 1860, le temps d’une élite dominée par la noblesse s’acheva alors que commençait celui de l’intelligentsia, avec l’apparition du nihilisme, du populisme et de l’anarchisme. De sorte qu’en 1875, la Russie semblait proche d’une révolution… Les grèves et les manifestations se multiplièrent ; à la masse des paysans s’ajouta celle des ouvriers. L’empereur lui-même échappa à plusieurs tentatives d’assassinat. Le 21 mars 1881, il signa le texte final du projet qui plaçait la Russie sur la voie d’une Constitution et qui l’aurait fait entrer dans une ère nouvelle… Mais le jour même, il fut victime de l’attentat qui l’emporta. Le projet politique de l’Empereur libérateur disparaissait avec lui.

Avec le talent de conteuse qu’on lui connaît et sa vaste érudition, Hélène Carrère d’Encausse signe là, une fois de plus, un livre édifiant qui ravira aussi bien les connaisseurs que les profanes.

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Alexandre II, le printemps de la Russie de Hélène Carrère d’Encausse, Fayard 2008, 522 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166