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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
Une tête à gouverner quatre empires


Par Lamia EL-SAAD
2008 - 03



Louis XIV n’oublia jamais ce qu’il devait à son parrain. Mazarin, étranger parti de rien, se trouvait à sa mort maître de la France et arbitre de l’Europe, plus puissant que ne le fut jamais aucun ministre. Pourtant, l’histoire ne lui a accordé, entre « le grand cardinal » et « le grand roi », qu’un petit rôle de transition. Dans son dernier ouvrage, Simone Bertière avoue volontiers prendre ouvertement la défense de Mazarin, « comme l’impose l’honnête examen des faits ». Issu d’une famille italienne honorable mais sans éclat, Giulio Mazarini débute sa carrière en tant que secrétaire du nonce extraordinaire Sacchetti. Il passe ensuite au service du page Urbain VIII et règle au mieux la succession de Mantoue. Nommé vice-légat en Avignon, il est très vite remarqué par Richelieu qui voit en lui son successeur et qui, plus tard, dira de lui qu’il avait « une tête à gouverner quatre empires ». Le lendemain même de la mort du cardinal, Louis XIII invitait Mazarin à siéger au Conseil. Et comme ce dernier hésitait encore à accepter la place de Richelieu, le roi le lia au dauphin par le lien le plus fort qui se pouvait trouver : le parrainage.

Premier ministre d’Anne d’Autriche, Mazarin survécut aux trois frondes alors que son éviction était pour les frondeurs une condition non négociable ; la fronde qui avait empoisonné la première moitié du siècle n’aboutit qu’à renforcer le pouvoir absolu. Après avoir ramené les parlements à leurs seules attributions judiciaires, Mazarin s’appliqua à soumettre le clergé qu’il n’a jamais réussi à se concilier. Entre le sort de Condé et celui de l’archevêque de Retz, le parallèle saute aux yeux. À travers l’un, la cible de Mazarin était la noblesse ; à travers l’autre, il vise le clergé. L’enjeu est la place de l’Église dans l’État et, plus précisément, le comportement que le pouvoir royal attend de ses membres. Il exploita contre Retz un autre conflit qui secoua le royaume, celui du jansénisme ; et en liant les deux causes, parvint à les neutraliser.

Sous son égide, la France remporta des victoires décisives qui mirent fin à la guerre de Trente ans. Après la défaite militaire de l’Espagne, le savoir-vivre diplomatique exigeant que l’on sauve la face au vaincu, il convenait de donner à la paix retrouvée l’apparence d’une réconciliation familiale. Il appliquait ainsi l’adage romain De bello pax : de la guerre sort la paix. Mazarin négocia le mariage de Louis XIV et de l’infante Marie-Thérèse ainsi que les conditions du futur traité de paix. Cette paix dite des Pyrénées fut signée le 7 novembre 1659. L’année 1660 vit donc la fin de la rivalité qui opposa la France durant un siècle et demi à la maison des Habsbourg dans ses deux branches, espagnole et autrichienne. Elle consacrait l’abandon des prétentions de celle-ci à la monarchie universelle. Elle promettait à la France, largement victorieuse, indépendance et sécurité ; et faisait d’elle l’arbitre de l’Europe.

Mazarin s’éteignit le 9 mars 1661 après avoir fait de Louis XIV son légataire universel. Il lui laissait par ailleurs un royaume prospère dans une Europe pacifiée. Mazarin avait acquis une immense fortune, réuni de magnifiques collections et une bibliothèque importante (l’actuelle bibliothèque Mazarine) dont il fit don à l’État. Mécène invétéré, il fonda le collège des Quatre-Nations et l’Académie des beaux-arts. Stratège hors pair doué d’une vision politique sur le long terme, négociateur patient et extrêmement intelligent, ministre humble et pragmatique… Autant de qualités que l’auteur dégage des différentes étapes de sa biographie. Toutefois, Mazarin demeure un homme d’État méconnu, d’une part en raison de la complexité de sa personnalité et, d’autre part, parce que l’historiographie qui lui est consacrée est essentiellement française et que « la France l’a rejeté ». Simone Bertière soutient pourtant que si l’histoire s’écrivait à l’échelle européenne, il en serait « l’un des plus grands » !

 
 
Mazarin s’appliqua à soumettre le clergé qu’il n’a jamais réussi à se concilier
 
BIBLIOGRAPHIE
Mazarin le maître du jeu de Simone Bertière, De Fallois, 697 p.
 
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