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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai



Par Lamia EL-SAAD
2007 - 12



L’ancien Premier ministre français Dominique de Villepin n’a jamais caché sa passion pour la poésie et pour l’histoire. Dans Le soleil noir de la puissance 1796-1807, il aborde un sujet déjà largement traité?: l’ascension politique de Napoléon Bonaparte. Pour autant, son approche demeure inédite en ce sens qu’il réussit à démontrer que les prémices de la chute de l’Empire étaient présentes à chaque étape de cette ascension.

Selon l’auteur, le coup d’État du 18 brumaire qui contraint Bonaparte à sortir de la légalité par la violence écorne sa légitimité. Et ce départ est d’autant plus mauvais qu’il commence par un malentendu?: «?C’était un général que le peuple appelait pour avoir la paix tant désirée. On ne se doutait pas encore que l’avènement de Bonaparte serait celui du dieu de la guerre.?»

Si Marengo apporte à Bonaparte la légitimité qui manquait à brumaire et lui permet de prendre enfin le pouvoir dans son intégralité, Villepin souligne qu’elle lui apprend par ailleurs les manœuvres de ses ministres, «?le peu que pesait sa personne, la fragilité du fil auquel était suspendue sa puissance, et comment on se passerait de lui?». Il réagit aussitôt en réduisant l’opposition à néant. «?Cette pensée despotique révèle en creux une obsession de la chute qui ne l’a jamais quitté et ira même croissante au fur et à mesure qu’il étendra son pouvoir.?» L’Empire passe en force, mais l’empereur se sait dépendant de la versatilité de l’opinion. Au point que l’auteur se demande si Napoléon, en rétablissant la monarchie, ne va pas «?à contre-courant de l’histoire?». La Révolution le piège à la fois par son héritage de guerres et ses principes puisqu’elle proclame «?la sacralité des libertés individuelles et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, soit le contraire même d’un Empire qui allie la dictature et la conquête?».

Justifiée par la peur, la dictature ne peut survivre qu’en suscitant de nouvelles peurs?: «?La conquête m’a fait ce que je suis, elle seule peut me maintenir.?» Sur le tournant de Tilsitt qui acte l’apogée, l’auteur écrit qu’il «?marque en réalité le commencement de la fin. La France se noie dans sa conquête, les causes de l’élévation posent les causes de la chute. Napoléon, par le jeu de son génie, devient l’instrument de la catastrophe comme il l’a été de la grandeur. En cela, véritablement, il est l’homme du destin.?»

À cette approche analytique inédite s’ajoute une approche bibliographique légèrement décalée. L’auteur avoue avoir privilégié les politiques?; ainsi cite-t-il Joseph et Lucien Bonaparte, Cambacérès et Clausewitz, Joseph Fouché, Talleyrand, Metternich et bien d’autres… Mais il se réfère aussi aux écrivains?: Balzac, Chateaubriand, Suarès, Stendhal, Mme de Staël… qui «?possèdent la vertu d’avoir regardé leur modèle en face, de puissance à puissance?». Il s’est certainement inspiré, par ailleurs, de Thiers et de Madelin, de Ludwig et de Vandal pour ne citer que ceux-là. Bien entendu, Napoléon Bonaparte, mémorialiste et «?correspondant sublime?», demeure la référence principale.

Mais cette bibliographie s’avère légèrement viciée par une lecture quelque peu subjective. Certes, l’argumentation de l’auteur visant à démontrer l’inéluctabilité de la chute derrière l’apogée se tient. Mais, à trop vouloir fixer l’horizon, ne se prive-t-on pas de la vue des cristaux de sel sur la mer?? Cela est d’autant plus vrai que Villepin fixe cet horizon depuis longtemps?; il a en effet signé en 2001 Les Cent-Jours ou l’esprit de sacrifice, analysant la période critique de la chute de l’Empire napoléonien.

Il faudra attendre la suite intitulée La chute ou l’Empire impossible, à paraître en 2008, pour émettre une opinion plus complète sur l’œuvre entreprise et sur la place qu’elle occupera dans l’importante bibliothèque napoléonienne.

 
 
Justifiée par la peur, la dictature de Napoléon Bonaparte ne peut survivre qu’en suscitant de nouvelles peurs
 
BIBLIOGRAPHIE
Le soleil noir de la puissance 1796-1807 de Dominique de Villepin, Perrin, 2007, 577 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166