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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
L’avocat de la question noire
Œuvre majeure de la littérature nord-américaine, Les Âmes du Peuple noir de W.E.B. Du Bois a inspiré l’essentiel de la conscience collective noire et des mouvement en faveur des droits civiques dans les années 1960, et continue d’avoir un retentissement considérable au sein de la communauté afro-américaine et au-dehors.

Par Lamia el-Saad
2007 - 08



L’œuvre paraît pour la première fois le 18 avril 1903. La plupart des essais qui la composent sont des versions retravaillées d’articles publiés dans des journaux ou des magazines. Elle rencontre immédiatement un franc succès : en 2003, lors de son « centenaire », le livre a déjà été publié cent dix-neuf fois ! Sa dernière réédition remonte à avril 2007. À la fois documentaire, autobiographique, historique, sociologique ou anthropologique, le livre de W.E.B. Du Bois est un témoignage de ce qu’est la vie derrière le voile, métaphore qu’il utilise pour désigner la ségrégation.

Considéré comme un symbole de la réussite intellectuelle du Noir américain, William Edward Burghardt Du Bois est le premier historien de l’histoire noire et le père fondateur de la sociologie à l’université. Ayant investi toute son énergie dans la lutte pour les droits civiques, il est également incontournable dans l’histoire de la littérature noire américaine. Dans Les Âmes du Peuple noir, il retrace avec une écriture aussi élégante que passionnée le destin de son peuple pendant et après la guerre de Sécession – qui n’est pas perçue par Du Bois comme un aboutissement, mais bien comme un commencement.

Dès les premiers affrontements de cette guerre, les esclaves fugitifs rejoignent les armées nordistes. D’abord considérés comme de la marchandise de contrebande, ils sont par la suite affranchis. Mais l’impossibilité de leur trouver du travail à tous rend la plupart pauvres et désœuvrés.

La question noire se pose alors et de nombreux délégués chargés de toutes les affaires liées aux affranchis sont nommés dans chacun des États sécessionnistes ; ainsi, le gouvernement des États-Unis prend entièrement en charge les Noirs émancipés comme autant de pupilles de la nation. Du Bois insiste sur l’émancipation, sur l’importance de la formation et de l’instruction des Noirs que les Blancs avaient, par mesure de précaution, maintenus dans l’ignorance. Les affranchis ont donc besoin d’un leadership noir. Mais pour que de tels hommes soient efficaces, ils doivent participer au pouvoir et être épaulés par une opinion publique favorable. D’où l’importance du droit de vote et de l’activité politique. En 1870, la disparition du bureau des affranchis donnera naissance au 15e amendement de la Constitution : « Le droit de vote des citoyens des États-Unis ne sera ni refusé ni limité par les États-Unis ou par un État quelconque pour des raisons liées à la race, à la couleur ou à un état antérieur de servitude. »

Du Bois déplore la méconnaissance de l’autre et constate qu’entre Blancs et Noirs, « il n’y a aucune communauté de vie intellectuelle... L’homme blanc, tout comme le Noir, est prisonnier de cette ligne de couleur qui l’exclut lui aussi ».    Loin de négliger l’aspect spirituel, il évoque les croyances et les légendes propres à son peuple dont la religion est devenue baptiste ou méthodiste. De même, il n’occulte pas les échecs, les tentatives avortées, les projets mort-nés afin de mieux nous faire prendre conscience de la difficulté d’une lutte dont il dit lui-même qu’elle porte atteinte à la dignité des Noirs. Elle les contraint en effet à quémander une reconnaissance politique et économique, alors que ces droits sont dus à tout être humain.

Il estime, par ailleurs, que la solution au problème noir est marxiste et internationale puisqu’il faut comprendre la répression des Noirs en termes de lutte des classes. Il pose enfin la question de l’identité du Noir américain. Du Bois, comme Senghor, est un métis culturel, un lettré imprégné de la culture de l’autre qui vit une approche différente et complémentaire de l’humanité. Selon lui, le concept de race n’est pas biologique ou phénotypique, mais historique et culturel, et établit fortement l’opposition entre les Américains et les Afro-Américains sur la base d’un traitement injuste. De cette injustice sont nés les chants de la douleur qui émaillent le récit de Du Bois et sont à l’origine de la musique noire par excellence : le blues.

À l’époque où Du Bois écrit Les Âmes du Peuple noir, les Noirs ne sont pas des citoyens à part entière. C’est donc bien l’identité collective d’un peuple, au sens de nation, qu’il s’agit de construire ; et c’est bien un texte nationaliste que Du Bois lance dans le monde : « Entends mon cri, ô Dieu lecteur ; fais que mon livre, ce livre ne tombe pas, mort-né, dans les déserts du monde. Fais que jaillissent de ces pages…une pensée vigoureuse et la ferme ambition d’une merveilleuse moisson… »

 
 
Le problème du XXe siècle est pour Du Bois le problème de la ligne de partage des couleurs.
 
BIBLIOGRAPHIE
Les Âmes du Peuple noir de W-E-B Du Bois, traduction de Magali Bessone, La Découverte 2007, 339 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166