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Essai
Une tutelle coloniale
À partir de la correspondance de Robert de Caix, une éminence grise de la politique française au Levant, Gérard Khoury nous dévoile les secrets et les rebondissements des débuts de l'histoire du monde arabe contemporain.

Par Sabrina Mervin
2007 - 05


Robert de Caix fait partie de ces personnages de l’histoire qui seraient restés secondaires si un concours de circonstances associé à une situation exceptionnelle ne les avait propulsés au devant de la scène politique. Publiciste, il travaille durant vingt-cinq ans au Journal des débats, le quotidien fondé en 1789, devenu l’organe des milieux coloniaux. Sans quitter le Journal, en 1901, de Caix participe à la fondation du Comité de l’Asie française et de sa revue, dont il est le rédacteur en chef. Il s’y spécialise sur les questions de l’Extrême-Orient où il effectue plusieurs voyages d’études.

S’étant rapproché du Quai d’Orsay, le journaliste se met, peu à peu, à la diplomatie, ce qui l’amène à s’occuper de la question d’Orient. Ainsi, il se prononce pour le démembrement de l’Empire ottoman alors qu’il était plutôt contre. Bien plus, dans une communication devant la Société de Géographie, en 1916, il déclare?: «?À aucun moment de l’histoire, la Syrie n’a été indépendante. De plus elle est très divisée entre races et confessions diverses, ce qui rend impossible l’établissement d’un protectorat étendu, comme nous en avons constitué dans certaines de nos colonies.?» Le ton est donné. Pour de Caix, «?le morcellement de la société syrienne?» la rend incapable d’autonomie et justifie la présence et l’autorité de l’étranger – la France – qui pourra se faire accepter comme l’arbitre nécessaire.

À l’issue de la Première Guerre mondiale, les alliés, vainqueurs, se partagent l’Empire ottoman moribond. Robert de Caix est chargé par Clemenceau de traiter la question d’Orient avec l’émir Faysal et participe activement au découpage des États du Levant, qu’il appelait de ses vœux. Il accompagne le général Gouraud à Beyrouth, en novembre 1919. Homme de plume, il se fait homme d’action et s’emploie à défaire l’accord conclu entre Clemenceau et Faysal. Ensuite, il joue le rôle d’éminence grise des Hauts-Commissaires et représente la France à la commission des mandats de la Société des nations.

Gérard Khoury nous livre dans cet ouvrage la correspondance et les notes inédites de Robert de Caix entre 1918 et 1926. Durant ce «?moment fondateur?», celui de la formation du Liban et de la Syrie modernes, de Caix négocie avec les grands de ce monde — «?les grosses légumes?», écrit-il à son épouse — que l’on voit défiler dans sa correspondance, de Churchill à Faysal, en passant par le colonel Lawrence. Il est surtout le défenseur et l’artisan d’une politique qu’il appelle «?solution fédérative?» pendant que d’autres y voient le principe de «?diviser pour mieux régner?».

Gérard Khoury tente, en publiant ces écrits, de «?saisir les imbrications politiques sous-jacentes aux relations franco-libanaises?» et le prolongement actuel des décisions prises dans les années 1920, auxquelles participa de Caix. Cela, précise-t-il, en évitant tout manichéisme et toute causalité unique. Gérard Khoury y parvient dans la longue présentation (plus de cent pages) dont il fait précéder les écrits de Caix. Non seulement il les restitue dans une histoire dont il est un des meilleurs spécialistes, mais il y analyse la politique menée par de Caix, nous fait découvrir l’homme, et envisage les conséquences, dans le monde arabe, de l’application de ses idées, de l?‘échec du nationalisme arabe, aux?«?événements?» qui ont ensanglanté le Proche-Orient, comme la guerre civile libanaise.

Homme de lettres et chercheur, Gérard Khoury a à son actif des travaux qui constituent autant de référence sur la période du mandat français. Historien minutieux, il fait partie de ceux qui ne cessent de creuser leur sujet, au fil des ans et des ouvrages qui paraissent...

 
 
 
 
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