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Essai
Liban-Iran, une histoire d’amitié et de méfiance


Par Boutros LABAKI
2007 - 01


L’histoire des relations irano-libanaises, étudiée dans l’ouvrage collectif Distant Relations: Five Centuries of Lebanese-Iranian Ties, débute par le couronnement du chah Ismaïl (fondateur de la dynastie safavide) en 1501. Cette dynastie sunnite et turcophone voulait démarquer l’État-empire qu’elle fondait de son voisin et rival l’Empire ottoman. Pour cela, le chah Ismaïl décida d’établir le chiisme duodécimain comme religion d’État du nouvel empire. Ce choix nécessitait l’introduction d’un noyau de clergé chiite duodécimain pour convertir la population de l’empire à cette religion d’État. Le chah Ismaïl entreprit alors de faire venir en Iran des hommes de religion chiites duodécimains d’Irak, de Bahreïn et de Jabal Amel (qui allait devenir le Liban-Sud). Cette opération débuta dans les premières décades du XVIe siècle et se poursuivit sous la dynastie qajare. Des ulémas chiites affluèrent de Jabal Amel en Iran et y occupèrent des positions-clés dans l’appareil religieux de l’empire, ce qui leur permit de contribuer grandement à l’instauration du chiisme duodécimain comme religion officielle et dominante de l’État et de la société iraniens.

À partir du début du XXe siècle, Beyrouth devint un centre éducatif d’importance pour certaines élites iraniennes attirées par l’AUB, l’USJ et les collèges de la capitale libanaise. Des personnalités importantes y firent leurs études, comme Amin Abbas Hoveyda (Premier ministre entre 1965 et 1977) et son frère Fereydoun au Lycée français de Beyrouth, de même que Chahpour Bakhtiar, dans les années 1930. Mais c’est avec l’accession de la dynastie pahlevie au pouvoir à Téhéran (1921-1926) que. les relations irano-libanaises se développèrent vraiment. Comme Beyrouth était un centre commercial d’où les marchandises européennes et américaines arrivaient en Iran, les rapports économiques entre les deux pays se renforcèrent et des relations diplomatiques furent établies dans les années 50. Désireux de contenir le nationalisme arabe révolutionnaire par des contacts plus étroits avec des États arabes prooccidentaux, Mohammad Reza Shah se rapprocha du Liban, surtout sous le mandat du président Camille Chamoun. Les années 1960-1970 correspondent à l’ascension de l’imam Moussa Sadr, « aalem » d’origine libanaise venu de Téhéran au Liban, et qui mena une action remarquable pour la modernisation, l’unification et l’intégration de la communauté chiite libanaise dans l’État et la société. À partir de 1970, prenant avantage du libéralisme politique régnant au Liban, des opposants au régime iranien de différentes tendances islamistes commencèrent à affluer au Liban. Parmi ceux-ci : Mohsen Nejathoseini, membre fondateur des « Moujahidine Khalq », Moustafa Chamrane, mais également Ali-Akbar Mohtachémi et sayyed Hadi Ghaffari qui jouèrent un rôle important dans la formation du Hezbollah au Liban et en Iran.

Comme leurs prédécesseurs français, russes, chinois ou cubains, les révolutionnaires iraniens ne confinèrent pas leurs ambitions à leur pays. La révolution islamique iranienne arriva en Irak, à Bahreïn et dans un Liban en pleine « guerre pour les autres ». L’invasion israélienne du Liban en 1982 accéléra les efforts iraniens visant à aider les chiites radicaux libanais à remodeler leur pays à l’image de l’Iran révolutionnaire. Ces efforts furent à l’origine de la fusion de plusieurs groupes dans ce qui devint le Hezbollah dans la Békaa, puis une organisation centralisée en 1985.

Les changements en Iran en 1989 – décès de Khomeyni, élection de Rafsandjani à la présidence – amenèrent une politique extérieure iranienne plus concernée par les intérêts nationaux de l’Iran. Cela coïncida avec les accords de Taëf et le rééquilibrage des pouvoirs au Liban. Une fois l’autorité de l’État rétablie, même sous tutelle syrienne, le Hezbollah dut alors s’adapter aux nouvelles réalités et abandonner son action visant à l’instauration d’une république islamique au Liban en essayant de s’intégrer progressivement à la société et à l’État libanais dans leur pluralisme.

Rapidement, grâce aux largesses iraniennes, le Hezbollah mit sur pied un réseau d’institutions sociales, éducatives et de bienfaisance qui lui fournirent une infrastructure d’appui parmi les Libanais chiites : ces institutions remédiaient aux carences des services sociaux dans les zones que le Hezbollah contrôlait. Quand les subsides iraniens baissèrent substantiellement, le parti de Dieu commença à s’appuyer sur les services sociaux, éducatifs et sanitaires fournis par l’État libanais. La libanisation du Hezbollah était déjà avancée : renoncement à la République islamique, intégration au Parlement, puis dans l’administration et les services sociaux publics, instauration de relations avec les diverses communautés chrétiennes et musulmanes, élimination de l’aile radicale (Toufeili)... L’arrivée de Khatami à la présidence de la République Iranienne en 1997 changea l’attitude officielle de l’Iran par rapport au Liban : l’épouse du nouveau président était une nièce de l’imam Moussa Sadr, et certains de ses conseillers avaient longtemps vécu au Liban. Khatami était un familier du pays du Cèdre et, en des termes non équivoques, avait exprimé son admiration pour la société libanaise. Mais depuis le départ de Khatami, les relations irano-libanaises sont entrées dans une nouvelle phase : celle de la méfiance.

Grâce aux contributions de spécialistes comme Roula Jurdi Abi Saab, Judith Harik, Richard Hollinger, Albert Hourani, Hassan J. Mneimneh, W. A. Samii ou Majid Tafreshi, Distant Relations: Five Centuries of Lebanese-Iranian Ties propose à ses lecteurs une analyse pertinente des rapports entre le Liban et l’Iran, du XVIe siècle à nos jours, et leur permet de mieux comprendre la nature de la relation unissant le Hezbollah au régime iranien et, plus globalement, de percer les arcanes d’un Moyen-Orient décidément bien compliqué !

 
 
© Alexandre Medawar
 
BIBLIOGRAPHIE
Distant Relations: Five Centuries of Lebanese-Iranian Ties de , sous la direction de H.E. Chehabi, Centre for Lebanese Studies, en association avec IB, Thauris Publishers – Londres. New York, 322 p.
 
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