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Essai
Plus arabe que les Arabes??


Par Jabbour DOUAIHY
2006 - 12


On a beaucoup écrit, ces derniers temps, sur Jacques Chirac. Certains livres l’éreintent, d’autres dressent un bilan plus ou moins objectif de son mandat. Dans Chirac d’Arabie, deux journalistes de Libération, Éric Aeschimann et Christophe Boltanski, nous démontrent que s’il y a bien une «?politique arabe?» de la France (concept gaullien apparemment mythique selon Roland Dumas qui n’y voyait qu’une «?succession d’illusions?»...), les décisions de l’actuel président français ont souvent été prises au gré de ses affinités personnelles et ont été «?indexées?» sur les hommes plutôt que sur les principes. Ministre, maire de Paris, Premier ministre, puis président de la République, Chirac a, par ses choix, dessiné au Moyen-Orient une instabilité qui «?donne le tournis?». Son dernier revirement est peut-être le plus significatif?: après l’opposition française à la guerre américaine en Irak (et le plaidoyer historique de Dominique de Villepin aux Nations unies) qui a fait monter sa popularité en France et dans le monde arabe, notamment à Alger qui lui a réservé un accueil triomphal, le voici qui se réconcilie avec l’Administration Bush à partir du dossier... libanais, «?un petit territoire dont il suit les convulsions à la loupe... Un pays qui se révèle être l’ultime ressort de sa politique au Proche-Orient?». Plusieurs noms reviennent dans ce livre rigoureux et fort bien documenté?: à part «?l’ami Hariri?», Hassan II du Maroc (l’idylle avec le souverain alaouite tournera à la querelle de ménage avec son fils Mohammad VI), Saddam Hussein (affaires et sympathie réciproque) ou Yasser Arafat qui sera promu au nombre des élus du cœur après une longue période de mépris... À n’en pas douter, Chirac a toujours été fasciné par ce monde arabe qui lui a souvent servi de refuge loin de Paris?: il y retrouve «?des histoires de larmes et de sang autrement plus poignantes et dramatiques que les éternelles petites bassesses et grandes manœuvres du RPR?». Pourtant, le profil qui se dessine est loin de rappeler l’auteur des Sept piliers de la sagesse. Nous sommes en face d’un «?attrape-tout, un marsupilami qui retombe toujours sur ses pattes?» plutôt que d’un visionnaire à la T.E. Lawrence qui essaie d’allier désert et modernité. Girouette, Chirac l’aura été sur la plupart des sujets, sauf à propos du pays du Cèdre où il a fait preuve d’une «?constance surprenante?». Les auteurs, qui émaillent leurs analyses d’anecdotes et de témoignages, n’occultent rien?: tout y est, depuis la libération obscure des otages au Liban entre les deux tours des élections de mai 1988 jusqu’au «?Do you want me to go back to my plane???» crié à la face des militaires israéliens dans les ruelles de la vieille ville de Jérusalem...
Tout compte fait, il serait injuste de reprocher au président français de ne pas avoir de véritable politique arabe alors qu’il est de notoriété publique que les dirigeants arabes eux-mêmes n’en ont pas une. La conclusion n’en est que plus amère?: la plupart des gouvernants arabes, neutres en apparence face à l’offensive américaine contre l’Irak ont, à un moment donné, reproché à la France son opposition excessive au projet de l’Administration Bush – ce qui a fait dire à un proche du président français?: «?Chirac a été plus arabe que les Arabes?!?»

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Chirac d’Arabie de Éric Aeschimann et Christophe Boltanski, Grasset, 2006, 432 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166