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Essai
En quête de reconnaissance
Astreint à un devoir de réserve en tant que président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré a longtemps été un témoin silencieux.

Par Lamia el-Saad
2016 - 08


Il a toujours écrit… Auteur de 24 livres (essais politiques, essais historiques mais aussi romans policiers), il est homme politique et homme de lettres. Véritable érudit, il cite Montesquieu, Saint-John Perse, Michelet, Camus, Alain…, mais aussi Nadia Tuéni qui nous invite à « écouter la respiration des mémoires ».

Cet ouvrage ne devait pas être publié ; il ne s’agissait que d’un « exercice personnel, non initialement destiné à être partagé ». Simple journal de bord rapportant des impressions et des réactions quotidiennes, ce travail a permis à Debré de « rester libre » dans ses jugements. Il affirme avoir été « sincère mais pas forcément impartial ».

De 2007 à 2016, il a divisé son livre en chapitres de longueur très inégale : le plus court étant consacré à l’année inachevée (9 pages) et le plus long à l’année 2013 qui fut « la plus chargée » de l’histoire du Conseil constitutionnel (80 pages). De chapitre en chapitre, il nous relate ainsi une histoire qui n’est, au fond, pas si lointaine, mais dont plusieurs pans sont déjà tombés dans l’oubli. Le titre, Ce que je ne pouvais pas dire, promet des indiscrétions, des révélations inédites, voire croustillantes… L’ouvrage tient toutes ses promesses ! Il regorge, en effet, de médisants commérages. D’un ton condescendant, l’auteur brosse, sans aucune complaisance, plusieurs portraits au vitriol.

La description de Fabius semble être la plus fidèle de toutes : « Il me donnait toujours l’impression de s’ennuyer, d’être blasé de tout, indifférent. Il ne rit pas, mais sourit. Il n’ajuste pas ses lunettes près de ses yeux, mais au milieu de son nez. Il regarde son interlocuteur mais on ne sait pas s’il le voit. Il cultive le secret sur sa propre personne au point de paraître parfois arrogant. »

Pour le reste, Debré estime que « le compteur politique de Giscard s’est arrêté en 1981, lorsqu’il a été battu par Mitterrand ». Même Hollande, qui « a réussi à se mettre à dos à la fois les riches et les pauvres », n’est pas épargné. Il critique également Rachida Dati, Cécile Duflot, ainsi qu’une grande partie de la classe politique. Les seuls à trouver grâce à ses yeux sont Chaban et Seguin. Selon lui, De Villepin est un « dilettante en politique qui se prend pour le Prince de Machiavel » et Juppé est « aussi fascinant qu’il peut être décevant. » 

En admettant que tout cela ne soit que le reflet de la plus stricte vérité, le lecteur pourra se demander si toute vérité est bonne à dire et si l’attitude de l’auteur peut être qualifiée de loyale. Sa véritable loyauté aura toujours été et est, encore aujourd’hui, envers un homme, Jacques Chirac, à qui il a apporté un soutien indéfectible, notamment contre Balladur, y compris lorsque tous les autres l’abandonnaient. Chirac qu’il a visité « très régulièrement depuis son départ de l’Élysée », devenant un des rares amis à l’accompagner dans sa maladie et à être reçu dans les bons comme dans les mauvais jours. Il témoigne de la dignité et du courage de l’ex-président : « Je ne l’ai jamais entendu se plaindre. » Détail amusant, il souligne « l’antipathie » de Chirac pour Sarkozy qui demeure un « gourou » pour Bernadette et rapporte une conversation quelque peu animée du couple Chirac à son sujet.

Debré se montre extrêmement lucide sur les ambitions des hommes politiques, leurs désaccords, leurs intentions inavouées et leur « roublardise ». Il fait état des pressions politiques auxquelles il n’a pas cédé et précise que le Conseil constitutionnel n’a pas approuvé les comptes de campagne de Sarkozy et « a démontré son indépendance et son intégrité en s’interdisant de cautionner ces turpitudes ».

Retraçant l’histoire de l’institution qu’il a présidée, il égrène les projets de lois étudiés, écrit avoir trouvé, à son arrivée au Conseil constitutionnel, une « maison poussiéreuse, non dirigée, triste, qui prend peu de décisions, vit en dehors du temps et des réalités ; et détaille les réformes nécessaires » qu’il a mises en place. 

L’auteur rend hommage à son père, Michel Debré, Premier ministre du général de Gaulle, et déclare avoir refusé deux fois le grade d’officier de la Légion d’honneur. À la lecture de ce livre, il apparaît clairement que cet homme intègre, qui a toujours servi discrètement et efficacement son pays, par sens du devoir et de manière très désintéressée, est aujourd’hui en quête de reconnaissance.

 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Ce que je ne pouvais pas dire de Jean-Louis Debré, Robert Laffont, 2016, 400 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166