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Essai

Grâce à des informations inédites, fiables et de première main, Kamal Redouani lève enfin le voile sur l’une des organisations terroristes les plus opaques et les plus dangereuses.

Par Lamia el-Saad
2016 - 09


Grand reporter spécialiste du monde arabe, Kamal Redouani s’est infiltré «?au cœur de la nébuleuse Daech?» pour recueillir les témoignages des chefs, des combattants et des victimes?; autant de «?contacts exclusifs noués au fil du temps?».

Journaliste de terrain, il a sillonné ces dix dernières années la Syrie, le Liban, l’Irak, la Lybie, la Tunisie et le Maghreb. Il nous raconte ses premiers contacts au téléphone, ses rendez-vous souvent anonymes et toujours incertains, les trajets qu’on lui a fait faire «?les yeux bandés?», les attentes interminables dans des pièces sans fenêtre, les armes que l’on a braquées sur lui, ses ruses pour filmer, parfois, en caméra cachée, la manière avec laquelle il a traversé clandestinement la frontière syrienne via la Jordanie grâce à un billet de cent dollars et deux bouteilles de whisky. Il est de ces journalistes qui n’ont pas craint d’informer, au péril de leur propre vie.

Il nous propose de faire table rase de nos certitudes et des extrapolations abusives, de repartir d’une page blanche pour «?saisir les tenants et les aboutissants du phénomène mondial qu’est devenu Daech. Une organisation terroriste qui ne cesse de clamer haut et fort que la France est une cible à abattre.?»

Édifier une nation, communiquer, attirer des combattants du monde entier, faire face à une coalition internationale et frapper le cœur de l’Europe «?ne sont pas l’apanage d’un simple gang de criminels, aussi organisé soit-il?». Redouani insiste sur le fait que l’on a sous-estimé par le passé la montée en puissance de Daech et que l’on sous-estime aujourd’hui «?sa capacité à se déployer dans d’autres pays?». Il a constaté par lui-même que bien des djihadistes «?ne sont pas barbus?», qu’ils ont des projets de mariage avec des femmes européennes et qu’ils ont appris à se fondre dans les foules occidentales. Après avoir formé les candidats aux attentats suicides, Daech est en train de les «?exporter à travers le monde?».

S’il nous met en garde contre les dangers à venir, il se penche surtout vers le passé pour remonter aux origines du problème que représente Daech. Il nous rappelle que les révolutions arabes ont toutes été «?noyautées par des islamistes?» et détaille tout particulièrement le cas de la Syrie. L’Armée syrienne libre était une «?proie facile?», elle manquait d’armes et de soutien. «?Les djihadistes, mieux armés et plus aguerris, sont devenus incontournables.?»

En 2012, c’est bien en Syrie que «?les anciens d’Al-Qaida vont officiellement se manifester sous le nom de Jabhat al-Nosra?». Ce groupe constitué de combattants venus d’Irak «?va connaître une ascension fulgurante?» sur la scène syrienne et attirer «?un grand nombre de djihadistes venus des quatre coins du monde?». Ces Irakiens étaient initialement des officiers de Saddam, pour la plupart emprisonnés à Abou Ghraïb ou au Camp Bucca qui furent des «?centres de formation et d’embrigadement pour les djihadistes?», où les tortures et les humiliations avaient fait naître une haine légitime des Américains et de l’Occident.

La stratégie de Bachar el-Assad consistait à «?concentrer ses attaques sur l’Armée syrienne libre et éviter de bombarder le territoire où Jabhat al-Nosra prospère?». Le président machiavélique réussit ainsi à atteindre son but?: démontrer à la communauté internationale que ceux qui souhaitent sa chute ne sont «?que des fondamentalistes étrangers et qu’il est le seul rempart contre les djihadistes?». En conséquence, les envois d’armes et de munitions ont tari afin d’éviter qu’elles ne tombent entre les mains des fanatiques.

Redouani affirme avoir rencontré des membres de Jabhat al-Nosra au Liban en avril 2014 et met les choses au point. Si Jabhat al-Nosra et Daech «?ont le même ADN et partagent la même idéologie?», la scission entre les deux est nette. Alors que Jabhat al-Nosra combattait les troupes de Bachar el-Assad, Daech, «?l’enfant terrible d’Al-Qaida?», combattait les rebelles affaiblis pour spolier «?leurs terres si chèrement défendues?».

Le journaliste précise que «?deux mille Libanais appartenant au Hezbollah combattent aux côtés de Bachar el-Assad?». «?Le Liban n’est pas neutre, il ne l’a jamais été, et Daech n’a jamais caché l’envie d’annexer ce pays et de s’offrir ainsi une ouverture vers la mer Méditerranée.?» Sa stratégie consiste à «?provoquer des réactions communautaires en chaîne pour (…) mettre à genoux les systèmes démocratiques?». Le principal danger est donc, aujourd’hui comme hier, de voir les communautés confessionnelles libanaises se dresser les unes contre les autres.

 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Inside Daech de Kamal Redouani, Flammarion, 2016, 312 p.
 
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