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Essai



Par Samir Frangié
2016 - 10


Dans son dernier ouvrage, Darwin, Bonaparte et le samaritain. Une philosophie de l’histoire, Michel Serres est à la recherche d’une autre philosophie de l’histoire. Membre de l’Académie française, il est l’auteur de nombreux essais dans les domaines de la philosophie et de l’histoire des sciences. Il nous invite à une nouvelle réflexion sur la condition humaine après avoir réinscrit l’humanité dans le grand récit de l’univers. Une réflexion originale qui allie science et poésie et porte sur les trois âges de l’histoire.

Le premier âge – d’où venons-nous?? –, qui parle des temps qui ont précédé l’écriture, est dominé par la figure de Darwin. Serres qui trace un tableau saisissant de ce premier âge remet en question la notion même d’écriture. «?Les molécules, les plantes, les bêtes et les choses elles-mêmes n’écrivent-elles pas?» puisque nous parvenons aujourd’hui à reconstituer des époques longues et des événements considérables.

Le deuxième âge – qui sommes-nous?? – est lié à Bonaparte et analyse «?l’espèce humaine dans sa capacité à s’autodétruire?», un deuxième âge dont les héros sont essentiellement des «?meurtriers de masse?» avec Gengis-Khan qui «?tua selon les statistiques à notre disposition 20% de l’humanité d’alors, à la légion romaine dont la férocité parvint à éradiquer la population entière de la Sardaigne?» et jusqu’à Hitler et Staline.

Le troisième âge commence le 16 août 1945 à Hiroshima. «?Entre 2300 av. J.-C. et 1800 ap. J.-C., il n’y a eu que 9% de temps de paix. L’histoire des hommes fut celle de la guerre perpétuelle.?» Mais un changement se produit après Hiroshima. Ce moment atroce de destruction massive a eu pour effet de nous faire prendre conscience que l’anéantissement de l’espèce humaine était désormais possible. 

Pour ce troisième âge de l’histoire, Serres propose d’autres héros?: le Samaritain de l’Évangile de Luc, le diplomate qui cherche la paix, le biologiste qui contribue à la croissance de notre espérance de vie remplacent les guerriers de la période précédente. Le temps de la discorde commence à céder la place à celui de la concorde. Les statistiques le montrent?: la majorité des humains pratiquent plus l’entraide que la concurrence. C’est ce changement qui a permis à l’Union européenne de traverser depuis sa fondation 70 années de paix, ce que, note-t-il, n’était pas arrivé… depuis la guerre de Troie.

Pour Serres, seuls 10% d’entre nous souffriraient d’une psychopathie qui les empêcherait de compatir aux souffrances d’autrui. «?Mais l’humanité, dit-il, se compose d’un grand nombre de braves gens rêvant qu’on leur foute la paix?», face à une infime minorité de ces psychopathes dont l’activisme féroce modèle la culture et l’histoire. 

Le dernier essai de Michel Serres donne à réfléchir. Il est traversé par une question fondamentale?: «?À force de nous entre-tuer, parviendrons-nous à nous éradiquer???» Malgré le déchainement de violence auquel nous assistons un peu partout dans le monde, la réponse n’est pas évidente, et l’auteur n’est pas pessimiste.


 
 
D.R.
« Entre 2300 av. J.-C. et 1800 ap. J.-C., il n’y a eu que 9% de temps de paix. L’histoire des hommes fut celle de la guerre perpétuelle. »
 
BIBLIOGRAPHIE
Darwin, Bonaparte et le Samaritain. Une philosophie de l'histoire de Michel Serres, Le Pommier, 2016, 250 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166