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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai



Par Henry Laurens
2016 - 12


Nabil Mouline est un brillant chercheur qui bénéficie d’une double formation en histoire et science politique. Il nous présente ici en quelques pages une remarquable synthèse de l’histoire du califat, permettant de discerner les différentes étapes d’évolution de cette fonction. Les débuts de cette trajectoire historique sont mal connus du fait que les événements du premier siècle de l’islam n’ont été rapportés que bien après, dans un contexte humain, social, culturel bien différent. Le Prophète a uni en lui une légitimité théocratique et un pouvoir militaire, mais n’ayant pas de descendant mâle, il n’a pas désigné de successeur. Ses compagnons ont établi un pouvoir monarchique élu par un cercle étroit. Sa titulature est celle de Commandeur des croyants, de guide (Imam) et de calife. Ce troisième terme semble avoir été peu utilisé au VIIe siècle. Il signifie alors représentant de Dieu sur terre.
Les luttes pour le pouvoir sont extrêmement violentes?: trois des quatre premiers califes sont assassinés et l’élection du quatrième provoque une guerre fratricide. Le tout est lié à la constitution rapide d’un immense Empire. Les querelles politiques se transformeront progressivement en dissensions religieuses donnant naissance aux grands courants de l’islam.

Le passage à une succession dynastique sous les Omeyyades puis les Abbassides est dans la norme de la société du temps. Les premiers califes ont conservé une large part des prérogatives du Prophète dans les domaines politique, juridique et religieux, mais l’émergence du corps des ulémas, ces clercs de l’islam, va conduire à une contestation de ces prétentions théocratiques. Il en résulte une épreuve de force finalement remportée par les clercs?: le calife n’est plus que le lieutenant du Prophète de Dieu et les ulémas se posent en héritiers exclusifs du Prophète. Il s’ensuit un partage durable du pouvoir entre les religieux et les détenteurs de la force publique.

À partir de la fin du Xe siècle, cette force publique passe aux mains des sultans et le califat abbasside n’est plus qu’une source de légitimité. Après la prise de Bagdad par les Mogols en 1258, le détenteur du pouvoir d’État devient le garant du respect de la loi par la société. Sous les sultans mamlouks, les Abbassides du Caire ne représentent plus grand-chose.

Plus l’institution califale décline, plus les religieux en font une description idéale qui appartient largement au domaine du devoir être. Le califat reste pour eux l’expression du maintien d’une fiction politique de l’unité musulmane.

Le califat ottoman est une invention tardive qui ne s’exprime vraiment qu’à partir du XVIIIe siècle dans la résistance à la domination européenne. Il devient une arme politique sous le règne d’Abdülhamid II et il est lié au panislamisme. L’abolition du califat en 1924 va reposer la question de savoir qui va gouverner l’islam. Il est impossible de trouver une entente politique pour recréer la fonction, mais le débat juridique et religieux a été d’une extrême importance dans la définition de la pensée islamique contemporaine. Les monarchies marocaine et saoudienne adoptent un certain nombre de prérogatives califales tandis que le califat reprend sa place dans les différentes utopies islamistes. Il en sera ainsi avec la restauration du califat par l’État islamique.

En conclusion, l’auteur rappelle que cette notion de monarchie universelle islamique est une construction sociale qui a émergé dans le contexte de la communauté musulmane naissante et qui s’est constamment transformée durant une histoire plus que millénaire. Elle a été d’autant plus idéalisée par les religieux que ces derniers l’ont dépossédée d’une partie de ses prérogatives. Les réformistes du XIXe siècle puis les islamistes des XXe et XXIe siècles s’en sont emparés pour réaliser leurs propres objectifs.

Ce livre, écrit d’une façon très limpide est d’une très grande utilité publique, d’où la nécessité de le lire.

 
 
D.R.
Les premiers califes ont conservé une large part des prérogatives du Prophète.
 
BIBLIOGRAPHIE
Le Califat, histoire politique de l'islam de Nabil Mouline, Flammarion, 2016, 286 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166