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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai



Par Fady Noun
2017 - 12


Nous vivons dans le clair-obscur d’un pas-encore et d’un déjà-là humain qui nous fait croire, sur le modèle occidental, à la possibilité d’une modernité sans transcendance, œuvre de l’homme pour l’homme. Témoignage personnel à l’appui, les ouvrages de Jean-Claude Guillebaud ont le mérite de nous en détromper, et de montrer comment cette aspiration a débouché sur le nihilisme et sur une société «?anomique?», sans normes.

En prenant les précautions nécessaires pour rester dans le ton juste et très «?français?» qui est le sien, Jean-Claude Guillebaud, dans le prolongement de son livre-jalon, Comment je suis redevenu chrétien (Seuil, 2007), nous livre aujourd’hui, avec La Foi qui reste, un bilan d’étape de son cheminement spirituel qui, dans son cas, et c’est sa grande originalité, est aussi, un cheminement rationnel.

Comme il l’assure lui-même, le livre n’a «?aucune intention apologétique?». On est là devant l’ouvrage d’un journaliste et d’un éditeur (Guillebaud a longtemps travaillé au «?Seuil?»)?; un homme d’une rare érudition qui, dix ans plus tard, parle de la foi chrétienne avec laquelle il a renoué, et du paysage culturel et spirituel contre lequel elle se détache. 

Guillebaud fait ainsi la radiographie d’une France qui «?ne croit plus en rien?»?; d’une France «?rigolarde?» dont la «?laïcité?» n’est plus qu’un prête-nom ou un masque à l’athéisme. L’auteur ne cache pas son inquiétude pour une société affectée par deux «?maladies de l’âme?»?: «?le règne toujours plus puissant, conquérant, dominateur de la marchandise?» où il y a «?de moins en moins de place pour la gratuité, le partage et le désintéressement?», et en second lieu «?l’inclination vengeresse, le besoin panique de désigner un coupable afin de le châtier?». 

«?Je pratique avec passion depuis cinquante ans le métier de journaliste, écrit-il, et j’ai fini par prendre en horreur cette pratique qui reproduit, sans même s’en rendre compte, les dispositifs archaïques de l’assassinat collectif.?» 

L’ouvrage s’ouvre sur une évocation des écueils que l’auteur a appris à éviter, depuis la publication de Comment je suis redevenu chrétien, notamment celui d’être «?le catho de service?» qu’on invite sur les plateaux pour donner la réplique aux agnostiques?; Guillebaud parle aussi, à l’occasion, du cléricalisme et du carriérisme toujours à l’œuvre dans l’Église institutionnelle et des échappées et intuitions théologiques qui le soutiennent et le tirent en avant, notamment celles de son ami, le théologien Maurice Bellet, ou celles d’auteurs comme Maurice Zundel (mort en 1975), «?tenu en lisière et exilé dans une lointaine paroisse?», ou Georges Bernanos, dont il prend magistralement la défense. C’est ainsi qu’il relève «?l’impressionnante jeunesse et la modernité du message évangélique?».

Nul cynisme, nulle invective ne sort de sa plume, mais quand il le faut, des reproches. Il n’hésite pas à annoncer sa rupture avec Jacques Julliard, l’aîné auquel il a succédé comme éditorialiste au Nouvel Obs, sur la question de l’islamophobie. Né d’un père charentais et gaulliste et d’une mère pied-noir et farouchement «?Algérie française?», Jean-Claude Guillebaud est âgé de dix ans et vit en France quand éclate la guerre d’Algérie. Il raconte le déchirement de son enfance, sa longue hésitation à se rendre en Algérie, et le pèlerinage qui le conduira, alors, avec un ami musulman, sur les tombes de l’évêque Pierre Claverie et de Christian de Chergé, le supérieur du monastère de Tibherine, assassinés tous deux par les islamistes. Subtilement, Guillebaud analyse la dérive du terrorisme «?abject?» qui a jeté l’opprobre, «?par capillarité?», sur toutes les croyances religieuses.

L’un des grand charmes des livres de Guillebaud, c’est qu’il y multiplie les références, créant ainsi un effet de familiarité et de confidence qui lui est très particulier. Autant d’ouvertures et de fenêtres qui retournent l’esprit, comme le ferait d’une terre durcie le soc d’un laboureur.

 BIBLIOGRAPHIE
La Foi qui reste de Jean-Claude Guillebaud, L’Iconoclaste, 2017, 264 p.
 
 
 
© Philippe Taris
 
2020-04 / NUMÉRO 166