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Essai
Nohad Salameh : l’extase créatrice


Par Fady Noun
2018 - 01


C’est dans un coquet appartement tapissé de livres jusqu’au plafond, à quelques pas du parc Monceau, que nous rencontrons le couple Marc Alyn-Nohad Salameh. Quelques élégants objets, rapportés de Venise lors de leurs multiples séjours, contrastent avec cette ambiance intellectuelle. Marc, rappelle-t-on, est un spécialiste de la cité des Doges, à laquelle il a consacré deux magnifiques essais : Le Piéton de Venise (4e édition en livre de poche) et Venise démons et merveilles. Autour d’un café, Nohad Salameh nous parle de son essai littéraire, Marcheuses au bord du gouffre. Onze figures tragiques des lettres féminines, que vient de publier La Lettre volée. Cette œuvre-clé, qui illumine le parcours de notre interlocutrice, bénéficie déjà d’une presse élogieuse.

Comment définir ce travail de longue haleine, fruit d’une période intense de réflexion, de documentation, de questionnement ? À travers sa vision à la fois poétique et critique, l’auteur met en relief les multiples facettes identitaires, culturelles et humaines de l’être féminin, sur le modèle de son recueil de poèmes, Le Livre de Lilith (2016) déjà présenté dans les colonnes de L’Orient-Le Jour : « Mon travail, s’explique Nohad Salameh, jaillit d’une démarche intérieure, d’une brûlante plongée en moi-même. L’objectif de ma quête ne consiste pas à révéler des créatrices déjà largement consacrées, mais à raviver la lumière autour d’un ensemble de figures féminines liées entre elles par une œuvre substantielle et un cheminement tumultueux, fatal, aboutissant à un destin brisé. »

« Ces femmes de génie (l’Américaine Emily Dickinson, les Allemandes Else Lasker-Shüller, Nelly Sachs [Prix Nobel 1966], Unica Zürn, Ingeborg Bachman, la francophone Renée Vivien, la Russe Marina Tsvetaïeva, la Finlandaise Edith Södergran, la Roumaine Milena Jesenskà, la Suissesse Annemarie Schwarzenbach et l’Américaine Sylvia Plath) donnèrent le jour à des chefs-d’œuvre qui bouleversèrent le visage de la modernité. Leur dénominateur commun se situe au niveau de l’écriture – poésie et prose – toujours fulgurante, sans oublier que la quête de l’inaccessible constitue leur véritable recours », ajoute Nohad Salameh.

L’auteur de Marcheuses au bord du gouffre souligne « l’aspiration métaphysique du corps, brûlant de s’élever vers le spirituel en dépit d’une immersion suicidaire dans la drogue, l’alcool, le sexe, la volupté d’exister à l’envers des conventions ». 

« La dimension alchimique, précise Nohad Salameh, est devenue fondamentale dans une époque de plus en plus matérialiste. » Selon elle, l’écriture « du dedans » porte une charge substantielle de spiritualité : « Sans doute, le brasier verbal que nous injectons dans l’encre s’investit-il d’un pouvoir magique de transmutation destiné à réaliser les œuvres majeures. »

Rapprochant l’une de ces « marcheuses », Sylvia Plath et son époux, le poète Ted Hugues, du couple de créateurs qu’elle forme elle-même avec Marc Alyn, Nohad Salameh rappelle que son entrée en poésie, indépendamment de la période de prime jeunesse, remonte aux années 80, quand son œuvre fut couronnée du Prix Louise Labé (1986), bien avant son mariage. « D’ailleurs, nos œuvres ne se confondent nullement, tant sur le plan thématique que stylistique », précise-t-elle. Et d’ajouter : « Cependant, partager la vie d’un écrivain d’envergure permet à la fois de devenir soi et l’autre, tout en maintenant l’équilibre de l’extase créatrice. »

Marcheuses au bord du gouffre n’est pas loin de s’inscrire dans une lignée d’œuvres tout à fait singulières, car Nohad Salameh, dans ce parcours au féminin qu’elle conduit avec maîtrise, parvient à hisser au-dessus du gouffre ces créatrices calcinées qu’elle tient en haute estime.

BIBLIOGRAPHIE
Marcheuses au bord du gouffre. Onze figures tragiques des lettres féminines de Nohad Salameh, éditions La Lettre volée, 2018.
 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166