Par Ziad Majed
2018 - 03
Dans son ouvrage Chirac, Assad et les autres,
Manon-Nour Tannous analyse les relations entre Paris et Damas depuis le départ
des troupes françaises de Syrie en 1946 jusqu’au déclenchement de la Révolution
syrienne en 2011. Son travail offre un éclairage indispensable pour la
compréhension des relations franco-syriennes, en les inscrivant dans trois
temps de leur histoire.
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Rupture puis normalisation
Le premier temps s’étend de 1946 à 1976. Il est
marqué par des tensions puis par une rupture en 1956 suite à la crise du canal
de Suez. Les relations entre les deux capitales ne reprennent qu’en 1962, à la
fin de la guerre d’Algérie et resteront froides jusqu’au milieu des années
1970. Sur l’agenda de Damas, sont à l’ordre du jour (et de la propagande) le
nationalisme arabe, le discours « anticolonial » et la dénonciation des
politiques mandataires de la France qui avaient détaché le sandjak
d’Alexandrette (et le Liban) de la « patrie syrienne ». Du côté français, la
méfiance et l’inquiétude sont de mise vis-à -vis d’une Syrie « arabe musulmane
et puis socialiste » par opposition à son voisin libanais « chrétien et
occidentalisé ».
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À partir du coup d’État de Hafez el-Assad en 1970,
cette configuration évolue avant de changer radicalement, marquant le début du
second temps.
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Assad intervient dans les dossiers régionaux pour
occulter les questions relatives à l’intérieur du pays et pour asseoir sur le
plan international sa capacité de nuisance comme de stabilisation dans le
Moyen-Orient. La Syrie devient incontournable pour les gouvernements successifs
à Paris.
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Assad et la politique du « pays tiers »
Entre les deux pays s’installe alors une relation
sous forme rarement bilatérale. Elle se tisse souvent autour d’un pays tiers :
le Liban de la guerre civile que l’armée syrienne envahit et occupe à partir de
1976, le conflit israélo-arabe et la cause palestinienne que Damas essaie
d’instrumentaliser, ou l’Iran isolé après 1979, dont le seul allié reste la
Syrie.
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Assad offre à la France, à travers son rôle
régional central, la possibilité de s’imposer sur ces dossiers importants. En
retour, il obtient une reconnaissance qui renforce son régime de tyrannie, et
une ouverture de portes sur l’Europe, voire sur l’Occident.
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Peu à peu s’installe à Paris (à partir des années
1980) une conviction accompagnée d’une crainte de voir le président syrien
redoubler de férocité s’il venait à être isolé. Cette conviction partagée par
François Mitterrand puis par Jacques Chirac donne de facto le loisir à Damas de
choisir les priorités dans l’agenda diplomatique. Elle octroie ainsi à Assad un
rôle encore plus central dans l’échiquier politique moyen-oriental.
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Et lorsque la succession présidentielle familiale
en Syrie a lieu en 2000, Chirac (seul chef d’État occidental à se rendre aux
funérailles d’Assad père) parraine Assad fils sur la scène internationale. Ce
moment coïncide avec une entente franco-syrienne contre la guerre américaine en
Irak en 2003. Tout semble augurer d’une phase nouvelle de la relation entre les
deux capitales.
Bachar el-Assad et la nouvelle rupture
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Toutefois, les relations se détériorent entre Paris
et Damas aussitôt que Chirac appelle le jeune président syrien à desserrer
l’étau sur le Liban dirigé par son ami Rafic Hariri. L’assassinat de ce dernier
en 2005 inaugure un troisième temps dans l’histoire des relations
franco-syriennes qui se solde par une rupture violente mettant fin à la
« diplomatie du levier ».
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Si Nicolas Sarkozy en 2008 renoue avec l’ancienne
politique de dialogue pour « contenir la nuisance du régime », le déclenchement
de la Révolution syrienne en 2011 et la répression féroce qui a suivi ont acté
de nouveau un divorce qui se maintiendra sous François Hollande.
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L’arrivée de Macron au pouvoir et son
positionnement hésitant risque-t-il de mettre un terme à cette phase ? Rien
n’est encore établi. Par contre, ce qui est sûr c’est que la tendance politique
donnant la primauté aux « hommes forts » qui servent de gardes-frontières en
Méditerranée fait son retour en France comme en Europe. Et c’est une mauvaise
nouvelle pour les droits humains, la démocratie et le droit international.Â