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Essai
La Fontaine à l’heure de la récréation


Par Fifi Abou Dib
2018 - 03

Ce n’est certes pas pour ajouter un ouvrage savant de plus à l’ample bibliographie consacrée à Jean de La Fontaine qu’Erik Orsenna a entrepris la rédaction du charmant La Fontaine, une école buissonnière. Invitant le lecteur à une « promenade » dans les pas du fabuliste et conteur, il livre sur la vie de ce dernier un récit attachant et faussement léger où se reflète son propre parcours. Et après tout, sans qu’il soit nécessaire d’avoir été comme Orsenna conseiller d’État ou membre de l’Académie française, chacun retrouve chez La Fontaine quelque chose de soi, tant il débusque et révèle la nature humaine dans son universalité.

Commençons par la fin, pour mieux éclairer le début. L’épitaphe de Jean de La Fontaine est d’une modestie désarmante. Sous le titre « Épitaphe d’un paresseux », le fabuliste se décrit comme un oisif éthéré : « Jean s’en alla comme il était venu/ Mangea le fonds avec le revenu/ Tint les trésors chose peu nécessaire./ Quant à son temps, bien le sut dispenser :/Deux parts en fit, dont il soulait passer/ L’une à dormir et l’autre à ne rien faire. » 

Était-il réellement paresseux, l’homme qui a réinventé les fables d’Esope et les récits de l’Arioste pour les reverser en joyaux au trésor de la langue française ? Bien curieuse est d’ailleurs la raison pour laquelle il s’est arrêté d’écrire les dernières années de sa vie : souffrant vraisemblablement de tuberculose avancée, il reçoit l’extrême onction de la main d’un jeune abbé qui le convertit et le convainc de renoncer, pour le temps qu’il lui reste à vivre, à l’écriture et à la publication de ses contes et fables. On découvrira d’ailleurs à sa mort que le corps de ce libertin était entravé par un cilice. Pour ce qui est de la paresse, difficile d’en faire reproche à l’auteur de La Cigale et la fourmi, mais aussi du Laboureur et ses enfants, l’un des textes les plus beaux et les plus fins sur la valeur du travail, lui qui aura laissé à la postérité 243 fables d’une telle acuité qu’elles ont franchi les siècles sans prendre une ride, ainsi qu’une soixantaine de contes coquins, évidemment difficiles à inscrire aux programmes scolaires et donc forcément moins connus. On ne peut pas dire qu’il ne l’a pas retourné, son champ, et comme dit joliment Orsenna dans le cadre d’une émission littéraire : « Les mots, c’est du sol. »

Cependant, pensionnaire du tout puissant Fouquet, surintendant des finances sous Louis XIV, ami et patron des arts et des lettres et bâtisseur du château de Vaux le Vicomte qui suscita la jalousie et la colère du roi et le fit tomber en disgrâce, La Fontaine était, à cette époque de pouvoir absolu, payé pour flatter. La disgrâce de Fouquet rejaillit sur le fabuliste, auteur d’un poème à la gloire de son mécène, intitulé Adonis, et d’un grand texte inachevé sur le fameux château. La Fontaine restera fidèle à Fouquet envers et contre tout, malgré une faiblesse de caractère que relève Orsenna mais en soulignant : « sauf pour soutenir Fouquet parce qu’il était son ami ». Sur le fameux Adonis, Erik Orsenna commente, merveilleux de transparence et de sincérité : « Ayant fort pratiqué la flatterie, aux temps mitterrandiens où j’étais courtisan, et préparant depuis lors un florilège des plus belles jamais inventées, j’admire ces hyperboles. »

On sourira dans cet ouvrage au récit que fait l’auteur du libertinisme de La Fontaine. Le fabuliste, qui a épousé une jeune parente, Marie, et vit avec elle à Château-Thierry, l’abandonne souvent pour se rendre à Paris où il mène une vie de potache et fréquente des femmes « gentilles de corsage » (cette expression !). Livrée à elle-même, la jeune épouse se laisse courtiser par son cousin qui devient le meilleur ami de son complaisant mari. Les ragots vont bon train, tant et si bien que La Fontaine se voit contraint, pour satisfaire l’entourage, de provoquer son soi-disant rival en duel. Il organise un semblant de combat, avec « deux épées rouillées », raconte Orsenna qui imagine les faux combattants célébrant avec Marie la fin de l’épisode autour d’une bonne bouteille.

Savoureuse, cette « École buissonnière » dédiée à Jean de la Fontaine a fait l’objet, l’été dernier, d’une série de 35 émissions sur France Inter qu’on peut encore réécouter en podcast sur le lien suivant : https://www.franceinter.fr/emissions/la-fontaine-une-ecole-buissonniere.


 
 
Source Galliva.bnf.fr / Bibliothèque nationale de
La Fontaine était, à cette époque de pouvoir absolu, payé pour flatter.
 
BIBLIOGRAPHIE
La Fontaine, une école buissonnière de Erik Orsenna, Stock/France Inter, 2017, 216 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166