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Essai
Le français en danger mortel
Dans un essai à la fois brillant et sombre, Jean-Michel Delacomptée tire le signal d’alarme : la langue française est aussi gravement menacée de l’intérieur.

Par Jean-Claude Perrier
2018 - 04


Spécialiste du XVIe et du XVIIe siècles, à qui l’on doit des essais sur Montaigne, La Boétie, Saint-Simon ou encore Racine, Jean-Michel Delacomptée, qui se définit comme un « écrivain laborieux » se fait, à juste titre, une haute idée de la langue française, ce merveilleux instrument d’expression de la pensée façonné par les siècles, depuis son acte de naissance officiel par l’édit de Villers-Cotterêts en 1539. 

Delacomptée, dans son nouveau livre, commence par rendre grâce à Malherbe (1555-1628), célébré par le poète Francis Ponge dans son Pour un Malherbe (paru en 1951), le premier grand ordonnateur de notre langue. Non sans faire remarquer et déplorer que, tout comme Péguy ou Bernanos, qu’il convoquera un peu plus tard, ce sont des écrivains que les Français ne lisent plus guère. L’essayiste ne nourrit pas une conception étroite du français, et surtout pas « nationaliste », bien au contraire. Il a parfaitement intégré la notion de « partage » chère à Maurice Druon et ce qu’on appelait autrefois la francophonie, bien malmenée d’ailleurs un peu partout, au profit de l’anglais. Ou plutôt de ce que le linguiste Etiemble appelait « l’amerloque », et qu’on désigne aujourd’hui sous le nom de « globish ». Une espèce de sabir dérivé de l’anglo-saxon qui intoxique une planète mondialisée, uniformisée. Ça, ce sont les « ennemis de l’extérieur » du français. Mais, explique Delacomptée, il y a encore pire, si c’est possible : à l’intérieur même de l’hexagone, non dans ses coins les plus reculés mais dans les sphères dirigeantes (médias, administration, politique, communication, presse etc.), le français est méchamment attaqué, menacé par une espèce de « novlangue » que George Orwell avait déjà anticipée dans son célèbre et prémonitoire roman 1984, lequel date de 1949. Abandon de la culture classique, disparition programmée du grec et du latin, féminisation à outrance pour des critères idéologiques, de bien-pensance et d’ordre moral, guéguerre du « genre » grammatical qui aboutit à l’aberrante « écriture inclusive », impossible à déchiffrer ni à l’écrit ni à l’oral… Les Trissotins d’aujourd’hui sont partout à la manœuvre, envahissent la presse et tiennent le haut du pavé. Ils tentent même de contaminer les programmes scolaires : « La jeunesse est attaquée au lance-flammes par les professionnels du vide », dénonce l’auteur. Ou « il y a une malbouffe du langage ». 
Tout cela n’est pas nouveau, hélas, mais est en train de prendre des proportions alarmantes, compte tenu des nouveaux moyens de communication. Alors, que faire, à part continuer à écrire de beaux livres, tirer la sonnette d’alarme, compter sur les bonnes volontés en France et partout dans le monde où des millions de francophones sont attachés à cette langue et à cette culture. Et espérer que notre nouveau président de la République saura inverser la tendance. « Enfin Macron vint », s’amuse à écrire Delacomptée, pastichant Boileau. Déjà, les langues anciennes sont en voie de résurrection. Mais dans un pays aussi centralisé que la France, il faudrait que l’État, via le ministère de la Culture, pèse de tout son poids. « Il faut être violemment patriote en ce moment, recommandait Ponge : patriote français et patriote de la civilisation gréco-latine française. » Ces lignes semblent avoir été écrites hier matin. Elles ont près de soixante-dix ans. On ne saurait mieux dire.

 
 BIBLIOGRAPHIE
 
Notre langue française de Jean-Michel Delacomptée, Fayard, 2018, 210 p.
 
 
 
© Jean-Christophe Marmara
 
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