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Essai
Danièle Sallenave : plaidoyer pour une république généreuse
Sallenave souligne son appartenance à la génération qui a été brutalement confrontée à la trahison des idéaux républicains.

Par Georgia Makhlouf
2018 - 08


Le dernier livre de Danièle Sallenave est un récit de voyage, nous dit-elle, voyage entrepris dans sa région natale, l’Ouest conservateur et clérical de l’Anjou, pour y retrouver « ce qui caractérisait l’éducation républicaine que j’y ai reçue, de parents instituteurs, au milieu du siècle dernier » et revisiter cette école « dressée contre le pouvoir de l’Église et des châteaux » dont Sallenave interroge les idéaux de justice et d'émancipation, le combat pour le progrès, mais aussi les limites, et les aveuglements.

Lorsqu’elle s’installe, le 11 janvier 2017, dans la petite maison entourée de vignes qu’elle a louée à Savennières, son village d’enfance, son projet est de sillonner le département. Mais il ne s’agit en rien d’une balade nostalgique ; car son ambition est de voir en quoi ce retour aux fondamentaux républicains peut permettre « d’éclairer ce que nous vivons », c’est-à-dire l’actuel regain identitaire et nationaliste. Il s’agit donc de mieux comprendre « nos contradictions d’aujourd’hui » en allant regarder de plus près « les contradictions d’hier ». La contradiction est d’ailleurs inscrite dans le titre même du livre : la rouge églantine incarne la tradition de la République sociale et anticléricale qui en avait fait l’emblème du 1er mai ouvrier. Le muguet, fleur de la Vierge Marie, tenta de prendre la place de l’églantine sur décision de Vichy, qui voulait imposer un autre courant historique, celui du catholicisme politique. « La rivalité de l’églantine et du muguet est comme le symbole et le résumé des grands affrontements de notre histoire nationale », estime ainsi l’académicienne. Elle reprend à son compte une formule de Sartre qui, en 1961, écrivait : « La France était autrefois le nom d’un pays ; c’est aujourd’hui le nom d’une névrose » et cette névrose a aujourd’hui pour symptôme un rapport pour le moins tortueux à l’islam, un islam réputé « insoluble dans la République », cette représentation étant aggravée par la répétition des attentats qui continuent d’ensanglanter la France et par les peurs liées à une immigration perçue comme non contrôlée.
L’ouvrage est construit sur une alternance de retours vers le passé et de plongées dans le présent le plus actuel, guerre de Vendée et visite au Super U, visées coloniales en Haïti – évoquées via la figure de Bertrand d’Ogeron, né à Rocherfort et qui va jouer un rôle de premier plan dans l’épopée de la colonisation sucrière dans les Caraïbes – et désindustrialisation du territoire. Ces mouvements font intimement partie du livre qui cherche à éclairer « le difficile enfantement de la République » entre révolutions et contre-révolutions. En revisitant les lieux familiers de son enfance, l’écrivaine voit surgir les personnages et les moments emblématiques d’une République guerrière, avec ses idéaux, ses combats et ses erreurs. Elle souhaite nous faire comprendre le choc que représenta pour cette région française profondément religieuse l’introduction de l’enseignement public obligatoire. Sallenave souligne également son appartenance à la génération qui a été brutalement confrontée à la trahison des idéaux républicains – et à la violence que la France déploie pour faire face aux mouvements indépendantistes et anticoloniaux –comme à la séduction exercée par le communisme, puis à son reflux dans le fil de l’antitotalitarisme des années 70. Elle interroge donc la capacité de cette éducation républicaine à poser les bonnes questions à l’heure des bouleversements actuels et à y apporter des réponses adéquates.

Stigmatisant la surenchère de laïcité et le nationalisme identitaire, elle appelle de ses vœux une République généreuse, qui ne transige pas avec « sa volonté de justice et d’émancipation », consciente de ses fautes passées et ouverte aux différences. Une République sociale placée sous le signe de la rouge églantine. Sallenave a conscience qu’il s’agit là non d’un idéal mais d’une utopie. « Car l’idéal est un rêve, tandis que l’utopie est un projet. » 
 
 
BIBLIOGRAPHIE   
L’Églantine et le muguet de Danièle Sallenave, Gallimard, 2018, 544 p.
 

 
 
© F. Mantovani
 
2020-04 / NUMÉRO 166